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Maroc : Les apparences, encore et toujours

Publie le vendredi 14 septembre 2007 par Open-Publishing

Les apparences, encore et toujours

Mise à jour : 13/09/2007 16:32:47 Le-Jeudi

Nettement favoris, les islamistes ont perdu la partie au Maroc. Mais le roi Mohammed VI aussi, qui a vu à peine quatre citoyens sur dix se déplacer aux urnes.

Par Robert Pailhès

Avec ce sens inimitable de la dérision que possèdent beaucoup de citoyens mis sous le boisseau d’un pouvoir immuable, un Marocain disait il y a peu de temps sur une radio, à propos des pronostics sur les élections législatives que son pays a connues dimanche dernier : « Si vous voulez, je peux déjà vous donner le résultat des élections de l’année 2200 ! »

Traduisez : le résultat de dimanche ne changera rien à la réalité du pays, lié depuis... 1666 à la fondation de la dynastie alaouite, au respect absolu dû à son représentant, le roi Mohammed VI, lui-même fils de Hassan II, lui-même fils de Mohammed V. Tous dépositaires du titre de « Commandeur des croyants », avec plus au moins d’autoritarisme selon la personnalité du roi du moment.

Traduisez encore : si à peine 40% des Marocains se sont déplacés dimanche dernier aux urnes, c’est d’abord pour cette évidence-là : ils savaient que leur vote ne changerait rien sur le fond puisque la Constitution est ainsi faite que le Palais royal a toutes les cartes en main et que le roi, par exemple, peut décider de nommer un Premier ministre qui ne serait pas issu de la majorité gagnante.

Rien dans le fond, donc, seulement un petit peu dans la forme. Or, avant l’élection de dimanche, la forme n’était pas... en forme, c’est le moins que l’on puisse dire. Le gouvernement précédent n’avait pas réussi à enrayer pauvreté et chômage, ni surtout à réformer un système éducatif en panne éternelle, alors qu’il est temps de mettre fin, dans ce pays qui se veut tourné vers le modernisme, au scandale qui fait que plus de la moitié de la population est analphabète !

Devant de telles carences, les spécialistes locaux s’étaient résignés à ce que l’opportunisme habituel des partis islamistes à saisir le vide se répercute dans les urnes. Erreur : le peuple en a peut-être eu assez des attentats de Casablanca en 2003 et du printemps dernier, faisant comprendre aux partis islamistes légitimés qu’il fallait sans doute inventer d’autres issues. Du coup, l’Istiqlal, le vieux parti nationaliste et conservateur, celui qui entre autres avait aidé Mohammed V à se débarrasser du protecteur français, a enlevé la mise.

Mais une mise bien maigre, vu l’abstention. Et une mise, de toute façon, qu’il est impossible de rafler seul. Surtout parce que le système électoral pour désigner les 325 sièges a vu trente-trois formations politiques sur la ligne de départ – Ubu n’est pas loin –, ce qui rend les alliances inéluctables. Ainsi verra-t-on une nouvelle fois le pays dirigé par les conséquences d’un mariage de raison, entre la carpe de droite (Istiqlal) et le lapin de gauche (Union socialiste des forces populaires).

Le citoyen, bien sûr, n’avait pas besoin de ce flou, de ce compromis politique, lui qui a déjà tant de mal à situer le moment où il peut prendre la parole et quelle parole il peut prononcer sans éveiller les soupçons du voisinage. Même si des tendances se font jour dans la presse, où apparaissent des publications satiriques inimaginables il y a dix ans.

L’invasion des pétrodollars

Il est dommage que ces élections n’aient pas permis de mettre en avant les mutations et contradictions que connaît le pays.

Contradictions économiques, d’abord. Par exemple le fait que les émirats et pays riches du Golfe, qui ne savent plus où placer leur argent depuis le nouveau renchérissement du pétrole et la méfiance des organismes financiers occidentaux, ont décidé d’investir tous azimuts dans l’immobilier et le tourisme au Maroc, cherchant à transformer les équipements côtiers de Tanger et de Rabat en de petits Dubaï. Le roi est pour, donc tout le monde est pour. Reste à savoir comment la manne sera redistribuée au petit peuple.

Contradictions sociologiques, ensuite. Il suffit d’une balade dans Marrakech pour remarquer combien la ville s’occidentalise et combien, entre autres constatations, les filles et garçons n’hésitent pas ou plus à se promener main dans la main. Pendant ce temps, sur les plages populaires, les femmes continuent d’entrer tout habillées dans l’eau.

Contradictions psychologiques, enfin. La semaine dernière, sur une radio française, une jeune Marocaine racontait combien son blog, qui traite entre autres de sujets tabous comme les mœurs et la sexualité, avait un très gros succès mais combien aussi il aurait été malvenu pour elle, voire risqué, de s’exprimer autrement que sous un pseudonyme.
Elle employait le terme de schizophrénie et donnait plusieurs exemples d’une société où, quel que soit l’aspect – politique, économique, relationnel – tout se fait mais rien ne se dit alors que tout le monde est au courant.

La seule chose que sa jeunesse ne lui permettait peut-être pas de deviner, c’est qu’il en est ainsi depuis bien longtemps au Maroc et que la société y trouve un équilibre éternellement précaire...

http://www.le-jeudi.lu/edition/article.asp?ArticleId=5220