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New Orléans : la peur après l’ouragan

Publie le lundi 19 septembre 2005 par Open-Publishing
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Comme c’est le cas pour la guérilla en Afghanistan et en Irak, l’ouragan s’est placé en travers entre l’idéologie et la réalité.

de RITA DI LEO Traduit de l’italien par Karl&Rosa

A l’âge de la Grande Peur à New Orléans le monde, effrayé, a vu les Américains avoir peur des Américains. Des Noirs contre des policiers et des soldats, armés les uns contre les autres. Si les non Américains sont effrayés, les Américains, au contraire, ne se sont pas beaucoup étonnés parce qu’ils savent vivre dans la peur.

Ils sont habitués à se défendre chacun pour soi des "différents" : des pauvres, des Noirs, des Hispaniques, des clandestins et, dernièrement, des terroristes arabes. Les défenses sont nombreuses et variées. Il y a l’homme blanc en Louisiane avec un chiffon sur sa maison où on lit "tu pilles, moi je tire", lequel se fait interviewer un gros pistolet à la main.

Il y a le Patriot Act qui impose aux bibliothécaires de livrer au FBI la liste des livres empruntés avec les noms et les adresses des lecteurs. Entre ces deux extrêmes, il y a une pratique de vie à l’enseigne de la défense préventive de la peur de l’autre. Si tu achètes un appartement, les co-propriétaires doivent te connaître, t’interroger, t’accepter, sans quoi tu ne signes pas le contrat. La même filière pour inscrire son enfant dans une école privée. C’est la filière obligatoire dans le passé pour devenir des membres de club exclusifs.

Aujourd’hui, l’exclusion est une mesure qui fait prospérer l’économie des milices privées. Des gardes privés défendent non seulement les banques et les centres commerciaux, mais aussi les quartiers résidentiels, les écoles, les églises. De qui te défendent-ils, qui peut te faire du mal ? Ceux qui ne vivent pas avec toi, qui ne fréquentent pas la même école, la même église, le même gymnase. La société est divisée en milliers de communautés, de celle des cosmopolites cultivés de New York et de San Francisco aux communautés des derniers arrivés, des Hispaniques, des Asiatiques.

Comme l’a montré Spike Lee, la communauté noire ne s’est reconnue une identité que quand elle a appris à faire peur aux Blancs. Leur faire peur par de simples actes de violence ou inspirer des peurs de revanche historique par leur bravoure à l’école, à l’université, sur les lieux de travail, dans l’armée. Le résultat est le même, le pays est divisé : d’un côté les Noirs, de l’autre les Blancs et au milieu des Hispaniques et des Asiatiques, fiers et liés à leurs propres identités culturelles originaires, étrangers à la haine entre les Blancs et les Noirs.

Ce sont la force et l’idéologie qui tiennent le gouvernail des relations sociales . La force est l’usage de la force par ceux qui ont le pouvoir de s’en servir, parce qu’ils ont un uniforme, un rôle de pouvoir ou simplement parce qu’ils ont acheté une arme au supermarché. Le droit individuel à la défense, pivot du système politique, consacre l’usage de la force. Les films made in USA nous ont familiarisés d’abord avec le héros qui tire pour défendre des femmes et des enfants et après avec de faibles femmes et des enfants angéliques qui apprennent à s’en tirer tous seuls en tirant eux aussi.

Aujourd’hui, nous regardons à la télé les habitants des zones frappées par l’ouragan Katrina déclarer vouloir se servir légitimement de leurs armes pour ne pas abandonner leurs biens. Leurs armes sont des pistolets et des fusils et donc les hommes en uniforme sont légitimés à se servir d’armes plus puissantes. Pour leur faire peur et les persuader de céder par la peur. C’est ainsi qu’apprend l’essentiel de la culture du grand pays et c’est ainsi dans la réalité quotidienne. Ce n’est pas ainsi seulement si on veut croire à l’idéologie blanche protestante qui sature l’air en éclipsant les faits et les comportements.

Selon l’idéologie, le grand pays a eu dans le melting pot la recette miraculeuse pour l’intégration de millions d’immigrés d’ethnies et de religions différentes. Les lois assurent des droits égaux à tout le monde, aux Noirs aussi. Comme le démontrent Henry Kissinger et Condoleezza Rice, les Juifs et les Noirs peuvent eux aussi arriver aux plus hautes charges politiques. C’est à l’individu de savoir exploiter la parité dans les opportunités. S’il n’y arrive pas, la responsabilité de son insuccès, de ses déboires est la sienne. Les victimes de l’ouragan Katrina doivent leur sort à leur propre incapacité.

Ils ne se sont pas enfuis malgré l’avis des autorités locales. Les autres sont partis : pour le sens commun le fait qu’ils aient été des Blancs et qu’ils aient eu les moyens de le faire est négligeable. Ce qui importe est que, si on le voulait, on pouvait éviter de rester coincés comme des rats dans les égouts. On pouvait éviter de donner au monde le spectacle de la grande puissance humiliée par les Noirs de New Orléans, par uns sous-prolétariat asocial, criminel. Des Noirs qui, en commençant à piller, volent des armes, font peur et ont peur. Ils représentent un tel démenti de l’idéologie courante qu’on comprend la recommandation de Bush aux médias de ne pas les montrer, de les cacher aux yeux du monde comme s’ils étaient des Afghans ou des Irakiens.

Exactement comme pour la guérilla en Afghanistan et en Irak, l’ouragan s’est placé en travers entre l’idéologie et la réalité, les belles paroles qui assurent aux citoyens américains une vie de succès et aux non Américains la possibilité de s’inspirer du modèle de vie made in USA sont à risque. Mais pas seulement. Dans les lointains territoires occupés et aujourd’hui sur le front intérieur, l’image de l’Amérique comme paradis de l’organisation est partie en fumée. Après la Prusse et après Napoléon, les Etats-Unis sont traditionnellement considérés comme des héritiers et des innovateurs de la science de l’organisation, appliquée à tout aspect de l’économie et de la société.

L’après-guerre en Irak et en Afghanistan et l’après ouragan sur la terre américaine avalisent l’hypothèse que les Américains sont devenus plus capables de détruire que de remédier aux désastres faits ou subis. C’est une hypothèse qui contraste avec des convictions consolidées sur la vision diffuse, caractéristique du pays comme d’un chantier qui change sans cesse. Un peu comme pour le mythe de la Russie des premiers plans quinquennaux, à la différence près qu’aux Etats-Unis tout le monde a toujours fait crédit. Le crédit semble aujourd’hui en train de s’épuiser.

De l’issue désastreuse de ses guerres préventives au manque de prévention des désastres intérieurs, l’inquiétude du reste du monde vis-à-vis de la grande puissance grandit. Sa prétention d’être en mesure de diriger le sort du monde est en discussion. Etant donnés les résultats, c’est une prétention qui fait justement peur. Le dernier sondage du German Marshall Fund est très clair à ce sujet.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

Messages

  • Le géant aux pieds d’argile ! il a aussi l’alliage incompatible du fer et de l’argile.
    Dans un pays ou le succés fait loi , que reste-t-il à ceux qui n’ont pas droit au chapître ? Sinon de disparaîtres comme des cloportes, dans l’obscurité de la mémoire collective. Rester, être victime n’est pas politiquement correcte.
    Le monde est devenu d’est en ouest une jungle. La loi du plus fort prévaloi aussi de l’émisphére nord au sud.
    Il y a de quoi avoir le tourni, tellement les évènements s’accélèrent.
    On nous donne plus de repos,plus de recul ! Nous sommes dans la 25 eme Heure, en 1984,c’est la date prophétique de tout accomplissement. Courage relévons la tête !
    Affectueusement à tous et à toutes,
    Boris Mestchersky