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Nouveau Monde (Golden Door)

Publie le samedi 31 mars 2007 par Open-Publishing

de Enrico Campofreda traduit de l’italien par karl&rosa

Elle était blanche comme le lait, l’Amérique où se plongeaient les culs-terreux de l’Italie embarqués dans des voyages vers l’espoir et l’inconnu, tout à fait identiques aux immigrés afro-asiatiques d’aujourd’hui qui se dirigent vers nos côtes.

Ils rêvaient de choses entendues et exagérées par les racontars : d’olives et de légumes géants, d’arbres qui donnaient des monnaies, ignorants et naïfs, semblables à Pinocchio et surtout affamés mais bricoleur comme Geppetto.

Sur ces métaphores, Crialese construit, à la manière d’une fable, son ode à l’émigrant très appréciée à la dernière passerelle de Venise et rafraîchit la mémoire de la Botte qui se sent trop une terre de conquête alors qu’elle a été jusqu’à la fin des années 50 – les années 50 du 20e siècle - une belle terre à quitter en quête de pain.

Mais, surtout dans le Sud profond, il n’était pas facile de se détacher de la « maison du néflier » et Salvataore Mancuso de Petralia, dont sont narrées les vicissitudes, accomplit avec son fils un voeu pour recevoir « l’approbation » de la Madone.

Le film, qui arbore des prises de vue géniales - une marée humaine entassée dans laquelle se creuse un sillon entre ceux qui sont sur le paquebot et partent et ceux qui sont sur le quai et restent, ou encore les couches où, séparément, des hommes et des femmes dorment, parlent, espèrent – a des traits maniéristes et rhétoriques parfois appuyés mais l’ensemble est plaisant.

Dans la narration de la plèbe il y a la leçon littéraire du vérisme, la leçon iconographique et figurative du Caravage et beaucoup de « renvois », la leçon filmique du réalisme onirique des frères Taviani. Un si grand soin formel et esthétique ne détourne pas l’attention de l’histoire amère de ces gens déchirés entre le déracinement de leur monde archaïque fait de désespoir et de tradition et l’inconnu alléchant et redoutable du Nouveau monde.

Et tandis qu’on recourt à tous les stratagèmes pour partir, comme le fait Salvatore qui cache le mutisme d’un de ses enfants ou l’Anglaise embarquée avec les Italiens, qui a besoin d’un cavalier pour accéder à la nouvelle terre, on vit les nouveautés des rencontres. La plus tendre et invraisemblable est basée sur le jeu des regards, antichambre de la connaissance entre Mancuso et la demoiselle anglaise qui lui demandera de l’épouser « non pas par amour mais pour le visa d’entrée ». Et pourtant ce n’était pas un calcul cynique.

Cela devenait une pratique répandue pour des hommes et des femmes inconnus (des immigrants à peine débarqués ou des résidents qui allaient observer les nouveaux arrivés) qui se lançaient une promesse de mariage indispensable pour former une famille et pouvoir vivre dans les States.

Cela se passait à Ellis Island, l’île de la quarantaine, où les bateaux vidaient leurs cales du fourmillement d’espoirs presque toujours analphabètes et égarés. Ils furent douze millions à passer à travers ces édifices et par les visites médicales, les interrogatoires, les tests d’aptitude psychique ; la nation ouvrant ses portes visait à sélectionner les nouveaux arrivés et aussi à améliorer la race avec des visées eugéniques.

Aux chanceux qui, après les préliminaires épuisants, arrivaient à terre s’ouvrait le Nouveau monde et ses travaux manuels les plus durs et souvent humiliants. Il y avait moyen de survivre et, ensuite, de vivre. Et pour certains, les plus chanceux, même de s’enrichir.

Titre original : Golden Door
Mise en scène : Emanuele Crialese
Scénario : Emanuele Crialese
Directeur de la photographie : Agnés Godaro
Montage : Maryline Monthieux
Avec : Charlotte Gainsbourg, Vincenzo Amato, Vincent Schiavelli, Aurora Quattrocchi, Francesco Casisa, Filippo Pucillo
Musique originale : Antonio Castrignano
Production : RaiCinema
Origine : Ita-Fra, 2006
Durée : 112’