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OBJECTIFS DE REVENUS - REVENUS MAXIMUMS

Publie le mardi 5 octobre 2004 par Open-Publishing


de Sonia J. FATH

Nous sommes en l’an 4 du IIIe Millénaire.
Toute la Gaule est occupée par le capitalisme ravageur ...
Toute ? Non ! Un petit bureau de 15 m² occupé par une irréductible Gauloise résiste, encore et toujours, aux tortionnaires de l’économie de marché.
Et la vie n’est pas facile dans la résistance du camp retranché de la Villa Décroissance...

L’argent que l’on gagne et l’argent que l’on a est un sujet tabou. Quelle pourrait en être la raison ? Serait-ce parce que la plupart du temps, il n’est pas gagné légitimement ?

Lorsque, lors d’une formation pour femmes sur la création d’entreprises, on parlait des revenus entre nous, il s’est avéré que j’étais pratiquement celle qui avec ses honoraires de traductrice gagnait le mieux. Il y avait juste une chèfe d’entreprise qui devait en gagner tellement qu’elle n’osa pas en parler. Quelques mois plus tard, je suis tombée sur un article qui disait que les revenus des femmes étaient de 1440 euros. A l’époque, les miens étaient de 1425 euros. Je me suis alors amusée à faire un tableau de l’évolution de mes revenus depuis le début en 1984, la première année complète de ma carrière professionnelle en Allemagne.

En 1984, employée comme traductrice technique dans un bureau d’ingénieurs-conseils, je gagnais 1067,58 euros nets d’impôts. En augmentant cette valeur de 1067,58 euros de 3% par an (2% pour l’inflation et 1% pour l’accroissement des compétences), j’arrive à un revenu mensuel net d’impôts de 1928,17 euros pour 2004. La réalité est connue : 367,73 euros (le salaire de la société pour mon engagement humaniste).

Mais dans mon parcours professionnel, il y a une autre bosse.
En 1991, je suis tombée sur une annonce de journal pour des études post-universitaires de gestion des entreprises européennes. Je trouvais cela une excellente occasion de compléter ma formation en langues, mes connaissances de l’intérieur de deux entreprises par une connaissance plus théorique de la gestion. Je me retrouvais ainsi avec un semestre à l’IUT de Poitiers, un autre à l’Université de Barcelone et 3 mois de stages à la MAIF à Niort.

Après mon retour de la MAIF, je pris quelques temps de repos et me mis à mon compte en janvier 1993. J’avais repris des contacts avec mon premier employeur, le bureau d’ingénieurs-conseils. Le vocabulaire m’était encore familier et je n’eus aucune peine à me remettre dans le bain. Le travail me plaisait, j’étais indépendante et gagnais bien ma vie. Mais je ne m’étais pas vraiment posée de questions quant à la récession qui avait fait son entrée. J’entendais bien quelques plaintes de-ci de-là, mais rien en comparaison à ce qui a cours aujourd’hui.
Par ailleurs, en raison des nécessités du travail, clarifications et prise d’informations auprès des ingénieurs, auteurs des rapports, il était souvent préférable de travailler au sein même de l’entreprise plutôt qu’au bureau à la maison.

Un beau jour d’automne 1994, je venais de terminer une semaine dans la section anglophone, le chef du personnel me fit venir dans son bureau. Il m’annonça que dorénavant on n’avait plus besoin de mes services, que les traductrices s’étaient plaintes que l’on faisait venir une traductrice de l’extérieur alors qu’elles-mêmes n’avaient pas de travail. Argument imparable, je ne pus que plier bagage sans avoir pu faire ma deuxième semaine de contrat. Plus jamais, je ne mis pied dans cette entreprise.

Normalement, je travaillais dans la section francophone et les deux autres traductrices salariées (une allemande et une sud-américaine) parlaient bien français, mais pas de la qualité d’une française. J’étais donc la préférée de deux ingénieurs qui me faisaient venir pour soumettre leurs rapports dans un excellent français à leur banque de financement (ils travaillaient dans le domaine de l’alimentation en eau et l’assainissement dans les pays du Sud, notamment en Afrique de l’Ouest).

Mais être la préférée peut aussi être très dangereux. Je dus l’apprendre à mes dépens. Mes collègues n’ayant pas supporté cette préférence, elles se plaignaient d’avoir les choses à traduire les moins intéressantes et commencèrent à œuvrer contre moi, une tactique que je ne connaissais pas encore à l’époque, mais qui deux ou trois ans plus tard fit le tour de l’Allemagne sous son terme anglais de mobbing - harcèlement moral. Personne sensible de nature, ce fameux vendredi soir, je sortis la tête haute du bureau du personnel, mais j’étais anéantie. Mon résultat net de l’année 1995 : 86,41 euros par mois. J’avais perdu pratiquement mon seul client et en trouver d’autres n’était pas de tout repos. Dans un marché capitaliste, une traductrice seule a la vie dure.

La remontée fut lente et pénible. Le marché des traducteurs est un marché de requins. Le métier de traducteur n’étant protégé par aucune réglementation, n’importe qui parlant deux langues peut s’installer en tant que traducteur, et le monde ne s’en prive pas. Mais les résultats sont également typiques d’une telle situation. Il ne faut pas s’étonner de la piètre qualité de certaines traductions dans ces cas là.

C’est dans cette atmosphère de lente reconstruction que je retrouvais le monde de l’Afrique que j’avais quitté en quittant le bureau d’ingénieurs-conseils en 1987. Et c’est au contact de ce monde là que je compris, peu à peu, que le meilleur dans ma vie avait toujours été les rencontres avec des êtres humains, jamais la cuisine intégrée ou ma voiture payée comptant, et encore moins tout le fatras matériel que j’avais pu entasser au fil des années.

C’est là que j’ai compris qu’il fallait que je change de vie. Et que l’argent y jouait un rôle important. J’ai compris que si j’avais du superflu, c’est que ailleurs il y avait quelqu’un qui était en manque. J’ai décidé de partager. Consommer moins, partager avec le Sahel, travailler sur des projets d’utilité sociale tout en gagnant ma vie dans la dignité. Ce dernier point m’est refusé, encore aujourd’hui. On veut me pousser à prendre un emploi alimentaire, alors que la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme » stipule dans son Article 23 que

1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.

2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal

3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.

J’ai donc le droit de choisir un travail qui me convienne, qui ne soit pas alimentaire, mais qui me permette, tout en me donnant les moyens de subvenir à ma vie, de garder ma dignité et de pourvoir au libre développement de ma personnalité. Ceci m’est refusé par les instances au pouvoir.

Par ailleurs, cette même « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme » signée et ratifiée par la France stipule dans son Article 21 que

1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis.

2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.

Et là, encore une fois, la France me refuse mes droits ! Dans ma profession de foi pour les Cantonales 2004, j’ai parlé de politique citoyenne en dehors des partis et de la lutte pour le pouvoir. Je souhaite la participation des citoyens aux affaires publiques de mon pays comme le préconise la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Oui, le travail que je fais a d’abord un objectif de « gestion des affaires publiques ». A côté de cela, il doit me permettre de gagner ma vie. Si on ne le comprend pas d’emblée, il faudra lire deux articles à venir pour comprendre mon engagement en direction de l’Afrique. Je les annoncerai avec le mot Sahel.

Mes trois séjours en Afrique, mais surtout les deux derniers au Sénégal et au Burkina Faso m’ont fait prendre conscience que ma voie est la coopération au développement, coûte que coûte.

Après l’expérience du harcèlement moral, j’ai pu remonter la pente financière jusqu’à 1666 euros nets d’impôts en 1999. Je n’ai plus besoin d’autant, mais j’exige le droit de gagner ma vie tel que je l’entends.

Après mon changement de cap en l’an 2000, adieu à la lutte pour les profits, bonjour le partage, l’humanisme, la vraie solidarité, j’ai clos l’année avec 548 euros mensuels, l’année 2001 avec 18,66 euros mensuels, l’année 2002, après mon retour en France au mois de mai, avec 0 euros, l’année 2003 avec 271,73 euros (je suis au RMI depuis avril 2003). Et que donnera l’année 2004 : 367,73 euros, alors que les dépenses réduites au minimum sont de 700 euros ?

C’est lors d’une réunion du CATS (Citoyens Actifs pour la Transformation Sociale) à Strasbourg que j’ai entendu pour la première fois quelqu’un dire (c’était une femme !) : « on parle toujours de revenu minimum, pourquoi ne parle-t-on jamais de revenu maximum ? »

Eh bien, Madame, je n’ai pas eu le temps de vous le dire ce jour-là, mais je pratique le revenu maximum. Pour cette année, je l’ai mentionné, pour 2014, il est de 2591,30 euros et si je devais un jour être élue au Parlement Européen ou au Sénat où l’on verse des rémunérations de l’ordre de 7000 euros nets, je me suis déjà engagée à ne compenser le surplus qu’avec mes pertes des années précédentes et d’investir le reste dans des projets d’utilité mondiale humaniste.

Qui vivra, verra !