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Où commence le fascisme ?

Publie le mercredi 7 janvier 2009 par Open-Publishing
12 commentaires

de P’tit Nico

Préliminaires

Ça fout vraiment les boules d’avoir à écrire (et encore plus à se battre), en ce début d’année 2009 du XXIème siècle, qui, pour ceux de ma génération, était, il n’y a pas si longtemps encore, impensable autrement qu’en avenir radieux, sur le fascisme existant et sous les bombes toujours. Et la terreur d’État. « Tant pis pour les victimes (palestiniennes) », dit-on froidement ce matin sur France-Inter, radio publique française (Journal de 8h, lundi 5 janvier). « 95% des israéliens soutiennent l’offensive », ment-on. Plus c’est gros...

À qui en vouloir ? Sur qui éructer cette colère ? Sur qui expurger sa rage ?

À soi-même ? N’avoir pas su, dans une vie d’engagement à sa façon (nos multiples façons), dans les diverses situations et rencontres, choisies ou pas, qu’égrainent la vie, trouver les actes et les mots suffisants pour, avec ceux-là qui s’y reconnaissent, construire la grande transformation et convaincre les autres de ce possible ?

À ceux-là qui nous ont trompés, trahis, tout au long du chemin ? Dont, la plupart du temps les motifs nous sont incompréhensibles (le sont-ils pour eux-mêmes ?). Pour lesquels toutes les tentatives d’explication sont tellement peu satisfaisantes.

Certainement pas aux ennemis qui ne font que profiter, lo-gi-que-ment, de notre impuissance (collective) à les combattre, et qu’une rage aveugle, contre productive, ne peut que servir en nous privant de la lucidité nécessaire. C’est le fascisme qui a besoin de haine.

Mais voilà, le combat continu... Et, ici, on fait parler l’écriture, toujours trop « carrée » pour ce qu’on veut y mettre.

Et le combat passe, aussi, en plus de ce que fait chacun de ceux qui font, pas si nombreux qu’il faudrait, par les questions et les manières d’y répondre, ou au moins de les prendre en compte, que je voudrais poser dans ce texte.

Prolégomènes

A quel moment commence le fascisme ? pour reprendre la formulation dans un fil récent http://bellaciao.org/fr/spip.php?article75882 de quelqu’un (salut l’ami, permets-moi de prendre appui sur tes larges épaules - qu’il soit clair que c’est en tant que personnifiant un courant de " pensée de l’action ", j’espère ne pas vexer l’individu en formulant la chose comme ça, que je reprends ses propos. Courant dont on croise maints représentants à chaque coin... de luttes !) qui donne en filigrane sa réponse, en appelant à des prises de responsabilité dont il semble seul avoir le secret, vilipendant ceux qui, pour lui, sont des révolutionnaires... en charentaises http://bellaciao.org/fr/spip.php?article76932. Continuerons-nous à voir, chacun, midi à notre porte ? Depuis combien de temps l’entendons-nous ce discours familier ?

Cette question du commencement du fascisme est d’importance et les exhortations impuissantes, que tous nous pratiquons à un moment ou à un autre, aussi vieilles que la lutte, n’y ont, pas plus que les plus fines analyses, apportés de... solutions. Sinon, nous n’en serions pas là. De multiples « façons » (au sens de façonner) jalonnent ce qui devrait être notre expérience commune pour combattre la bête immonde. Des camarades ont théorisé l’action directe, opposant la terreur du bourgeois à la terreur planétaire du Kapital sanguinaire. D’autres ont tenté, de toutes leurs forces, de mettre en pratique des expérimentations de l’idéal. D’autres encore, de leurs lieux de souffrance mais de fierté aussi, tentent d’unir les forces pour, bataille après bataille, prendre le pas sur l’exploiteur et le forcer à se rendre. D’autres, avec acharnement, tels la taupe griffue, ont inlassablement creusé des galeries qui, le moment venu, nous serviront à miner les fondations de l’Ordre. D’autres, encore et encore, bien incompris, explorent avec courage, des champs encore non semés. D’autres toujours, s’évertuent à démasquer les mensonges et les actes de barbarie. D’autres ont allumé des flambeaux pour marquer le chemin en nous disant : « ce n’est pas la flamme, crétin (ceux-là savent avoir le verbe cru), qu’il faut regarder, mais ce qu’elle éclaire ». Tous ont en commun le désir de justice et du bonheur entier pour toute, toute !, l’humanité. Pour mettre en œuvre sa manière, chacun a dû forger sa propre image de lui-même, en faire un étendard. Chacun a dû aussi confronter sa pensée de l’action à la pensée des autres. Alors que ces pensées auraient dû renforcer les moyens d’arriver à l’objectif commun, elles ont, comme par un sortilège, dispersé les forces en multiples avant-garde ( « À ce titre, nous dit Olivier Piot - « L’extrême gauche », Le Cavalier Bleu, 2008 – les divisions en politique ne sont pas toujours une faiblesse. Elles peuvent aussi être un signe de vitalité. ») défendant leur drapeau. Mais peut-on toujours dire, comme Lutte ouvrière en 1983 : « Aujourd’hui, l’indépendance organisationnelle des courants qui défendent des politiques si différentes est un fait parce que c’est une nécessité » ? Non qu’il n’y ait lieu que la manière d’aller vers autre chose ne conditionne cet autre chose. Aucun ne prétend construire un nouveau monde par les valeurs du monde ancien (ce qui n’est pas le cas du facho). Tous nous sont nécessaires, c’est notre richesse. Mais c’est peut-être oublier que l’ennemi d’en face sait en tirer parti. Et qu’il en sort revigoré. C’est-à-dire qu’il y a urgence, tant qu’il est encore possible, à affronter le combat avec toutes les forces possibles. Ceux qui me lisent en sont convaincus, je le sais.
Mais les autres ? De beaucoup plus nombreux, pour l’instant encore, et qu’il faut rallier.

Je suis convaincu que la confrontation des pensées de l’action sur la perception du fascisme, alors que nous sommes, ici et maintenant sur la planète entière, dans une de ses périodes totalitaires, fait partie de l’action pour combattre le fascisme, c’est-à-dire une des faces du capitalisme en tant que mode de production au service de la bourgeoisie (ou quelque nom qu’on lui donne, puisqu’il paraît qu’il est aussi "ringard" que le terme « lutte des classes » : aristocratie, élite, caste, « maîtres du monde », « les riches » ou les capitalistes...)
Il ne s’agit pas d’"unité", il s’agit de "combat", donc de cohésion. L’unité viendra de la compréhension commune de l’action nécessaire.
« Le débat et la mise en commun collective des réflexions est nécessaire », disait quelqu’un, expert en stratégie, sur un autre fil. Ça l’a tellement toujours été que c’en est une banalité. Pourquoi alors est-ce si difficile ?

D’où l’importance de la question de : où, à quel moment commence le fascisme (si tant est que la question de sa fin ne le soit pas aussi) ? Parce que nous y sommes en plein dedans et que nous ne sommes pas assez nombreux encore à mesurer l’urgence du combat. Non pas prêts à se lever, on peut penser que nous sommes assez, mais... à le faire, et ensemble ! Suffit-il (suffit-il ! Il faut le faire aussi) de nous y exhorter ? Alors que les moyens déployés pour nous réduire et nous tromper sont immenses ?

Contribuons donc, sans peur et en toute modestie.

Où commence le fascisme ?

L’importance de la question tient au fait que le fascisme ne commence pas, ou alors y a longtemps, ou il sentait pas bon... Le fascisme est une construction permanente du système capitaliste.

Dans son ouvrage très documenté, « Fascisme, nazisme, autoritarisme », Point histoire, 2000, Philippe Burrin, décrit et analyse la période d’établissement au pouvoir des partis fascistes. Je my référerai.

« A l’évidence, les régimes fasciste et nazis n’étaient pas identiques. Mais la question pertinente est celle de leur parenté, et non de leur identité. (...) Par delà le jeu politique au sens étroit dont l’importance ne doit pas être sous-estimée, nous intéressent ici les convergences stratégiques qui offrirent une assise au pouvoir, les conceptions idéologiques qui orientèrent son action, les dispositifs institutionnels qu’il mit en place, enfin la réceptivité de la société qu’il régissait. » P. 12.

L’approche officielle fait du fascisme une configuration historique réalisée par le fascisme mussolinien et le nazisme hitlérien, pour mieux nous empêcher de le penser. En quoi cette configuration aboutie serait-elle tout le fascisme ? Comme si cette forme visible n’a pas été façonnée à partir de théories dont la mise en oeuvre à demandé du temps et des conditions particulières ! C’est-à-dire, la capacité de saisir l’occasion favorable, voire de la provoquer. Et de sortir vainqueur de la confrontation de ces théories à la réalité, du moins pour un temps, en sachant prendre en compte ces réalités. « En même temps que l’idée d’un régime monolithique se trouve rejetée celle d’une emprise totale du pouvoir. Avec le risque qu’à trop souligner les formes de normalité on n’aboutisse à minimiser la rupture représentée par le régime nazi. » P. 117. Il ne s’agit donc évidemment pas de faire une analogie mécanique mais de repérer les éléments qui font sens (mais je ne serai pas exhaustif) en tenant compte des conditions historiques différentes.

Le fascisme a comme caractéristiques majeures le pragmatisme, l’opportunisme, et plus encore, la plasticité. Il donne à voir ce que chaque composante de la société veut voir, du moins tant qu’il n’a pas suffisamment de force.

Faut-il attendre d’être dans la « configuration historique » - parti unique, adhésion " populaire ", utilisation de la terreur, de la violence et de la propagande de masse - pour se lever contre ce qu’il est en train de devenir, c’est-à-dire lui-même... réalisé ? Les mouvements anti fascistes, actifs mais peu audibles jusqu’à maintenant, n’ont pourtant cessé de rester en alerte. La grande manipulation lepéniste de 2002 a fait son effet.

P. Burrin montre l’entrelacement des intérêts de chaque composante des forces politiques conservatrices et des élites qui ont favorisé la stratégie hitlérienne de substituer le Parti à l’État, de fabriquer un homme nouveau : « Nous créerons, à travers une œuvre de sélection obstinée et tenace, les nouvelles générations, et dans ces nouvelles générations chacun aura un devoir défini » écrivait Mussolini ; « élevage » des hommes qui fascinait tant Hitler. N’était-ce pas le projet des Maîtres des forges, au XIXème siècle, de « fabriquer » une race de mineurs, tel que le décrivent Murard et Zylberman dans « Le petit travailleur infatigable », Recherches, 1976 ?

Les classes moyennes et supérieures ont occupé une part majeure dans l’adhésion et le soutien au régime nazi. Ainsi de l’adhésion de la bureaucratie et des fonctionnaires. On objecte qu’aujourd’hui cette classe moyenne auraient des valeurs démocratiques, qu’elle serait en voie sinon en état de prolétarisation. Quels seraient donc alors ces magistrats qui appliquent avec rigueur les lois scélérates, ces agents administratifs qui forcent des règlements qui génèrent le mal vivre des appauvris, ces proviseurs de lycées et présidents d’universités qui collaborent à l’entreprise policière, ces mafias du monde de l’audiovisuel qui mettent en scène les histoires que nous racontent les politiciens pour qu’elles soient notre vision du monde, ces hiérarchies d’entreprises qui contraignent les ouvriers à des conditions de travail toujours plus rudes en véhiculant l’idéologie libérale avec cynisme, ces cadres du maintien de l’ordre répressif appliquant avec entrain les consignes d’autorité et de terrorisation (comme torturer un quidam à l’électricité, Taser), ces ingénieurs militaires qui servent un ordre du monde qui correspond à leurs souhaits, ces contingents de chercheurs qui alimentent les moyens de la domination, ces cohortes de porteurs de soutane qui reprennent du poil de la bête, ces artistes et ces athlètes qui mettent leur art (?!) au service de la gloire du dictateur ? D’où sortent tous les « petits führers » qu’on trouve dans toutes les hiérarchies, du plus bas au plus haut niveau, les délateurs que l’État sollicite ?

Que nous sert de prétendre contre toute évidence que 90% de la population est prolétaire parce que salariée, que nous serions tous prolétaires parce que travailleurs ? Cela nous ramènera-t-il les indécis ou sont-ce des stratégies qu’il faudrait rendre plus claires s’il faut les partager ? Qu’importe ma bannière, si je suis seul derrière ? Mieux vaut fourbir des armes qui servent à vaincre.

On objecte que la jeunesse de la société de consommation ne saurait supporter un ordre autoritaire. Quelle jeunesse ? Celle de la classe moyenne ! La même qui découvrait cette société de l’illusion dans les années trente. Certes, elle a grandi en nombre, mais les conditions sont-elles si différentes ? Certes, les Mouvements de jeunesse ont beaucoup moins d’influence, mais la société « néo tribale » que le fascisme aspirait à former n’est-elle pas partie du quotidien, pas de tous, mais d’un grand nombre ? « Prenons l’exemple des groupes de jeunes qui jetèrent l’alarme chez les autorités dans les grandes villes allemandes à partir de la fin des années trente et pendant la guerre. Composés de dizaines de personnes affichant la même allure vestimentaire, ces groupes étaient la forme la plus visible de la réaction que provoquait dans une partie de la jeunesse l’enrégimentement dans la Hitlerjugend. Certains, tels les swings, se réunissaient en privé pour danser sur de la musique anglo-saxonne. D’autres, d’une origine sociale plus modeste, comme les Edelweisspiraten de la Ruhr, se retrouvaient au coin des rues ou dans les terrains vagues, fréquentaient, malgré les interdictions, les travailleurs étrangers et s’en prenaient, à l’occasion, aux membres des services d’ordre de la Jeunesse hitlérienne. Pour toutes les incidences politiques qu’ils pouvaient avoir aux yeux d’un pouvoir totalitaire, ces comportements, qui ont leur place dans l’histoire de l’émergence d’une culture des jeunes, relevaient, en l’absence d’une opposition motivée au régime dans son ensemble, de la déviance plus que de la résistance. » ? P. 34.

Bien sûr, comparaison n’est pas raison et analogie n’est pas identité. Mais peuvent-elles nous amener à nous interroger sur notre représentation de la réalité actuelle ? Jamais la jeunesse n’a été soumise à telle normalisation sous les pseudo distinctions des « marques ». L’idolâtrie du dernier gadget électronique ou de la promesse d’une évasion dans un monde... de rêves (à s’en piétiner !), de stars fabriquées industriellement pour alimenter les mondes de la jet society, de la " culture ", du show business, des médias eux-mêmes, voire de la politique, n’est-elle pas la pratique d’une partie de la jeunesse ? Certes cette jeunesse est aussi une jeunesse confrontée à la précarité, au manque d’avenir, à la répression et au conformisme de masse. Cela se traduit-il par une « opposition motivée au régime dans son ensemble » ? S’il en était ainsi, elle serait déjà dans la rue. Et si certains y sont, quelle position prendront-ils lorsque le combat sera vraiment ouvert, s’il s’ouvre, et il va s’ouvrir ? Pourquoi devrions-nous nous priver d’anticiper la question ? Leur capacité à se passer des organisations révolutionnaires est-elle suffisante pour ne pas rester minoritaire, subir la répression et servir d’alibi au renforcement sécuritaire ? Courrons-nous, sans broncher, le risque de les voir basculer, comme il est arrivé dans l’histoire, vers des organisations autoritaires ? Les fascistes savent si bien y faire.

Pour notre gouverne, ne devons-nous pas mettre en regard de la propagande fasciste l’ "invention", et ses suites qui « façonnent » notre réalité, des « relations publiques » par Edward Bernays, 1891- 1995, (« Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie », 1928, Zones La Découverte, 2007), qui a « amené les femmes américaines à fumer » en leur faisant croire que la cigarette était « le flambeau de la liberté » et rempli les poches des fabricants de cigarettes, qui a inspiré les campagnes pour imposer l’usage de la voiture, proposant "la solution" à la question du sociologue Walter Lippmann, 1889 – 1974 : « Si l’on parvenait à comprendre le mécanisme et les ressorts de la mentalité collective, ne pourrait-on pas contrôler les masses et les mobiliser à volonté sans qu’elles s’en rendent compte ? » Le mouvement ouvrier s’est bien peu préoccupé de ces considérations. Et on le comprend, les choses n’étaient pas si nettes ! Ou trop claires, pour l’ouvrier qui est en permanence au front de l’exploitation brute. Il n’a pas besoin de « théories » pour reconnaître ses amis et ses ennemis. Croit-il. Mais pour combattre ces derniers, pour déjouer ses pièges innombrables et retors, se faire des alliés ?

Devrions-nous l’ignorer à notre tour, nous qui en sommes avertis : « Mais Bernays cherche également dans les sciences sociales, (...), une justification (à prétention) scientifique de la finalité politique du travail accompli par le conseiller en relations publiques. Il la trouve dans l’adhésion d’une part importante des théoriciens des sciences sociales naissantes qu’il consulte et respecte à l’idée que la masse est incapable de juger correctement des affaires publiques et que les individus qui la composent sont inaptes à exercer le rôle de citoyens en puissance qu’une démocratie exige de chacun d’eux : bref, que le public, au fond, constitue pour la gouvernance de la société un obstacle à contourner et une menace à écarter. » Qui peut contester que cela se réalise sous nos yeux ? Cela n’est-il pas en résonance avec le projet de toujours de l’exploiteur selon lequel, comme l’assurait James Madison (1752 – 1836), « le véritable pouvoir, celui que procure la richesse de la nation, doit demeurer entre les mains des êtres les plus capables et que la première et principale responsabilité du gouvernement est de maintenir la minorité fortunée à l’abri de la majorité » ? Normand Baillargeon, préface à « Propaganda ».

Le fascisme est la dimension « culturelle » de la domination. Il ne touche pas aux fondements économiques, au contraire, il les sert. « Leur projet était bien plutôt un projet de révolution culturelle, au sens anthropologique du terme culture qui désigne l’ensemble des représentations et des symboles d’une société. Le foyer de ce projet était la vision d’un peuple débarrassé de toutes les sources et de tous les agents de division (la lutte des classes), de décentrement (les doctrines internationalistes, le cosmopolitisme) et d’hétérogénéité (le juif qui combinait toutes ces caractéristiques négatives), la vision d’un peuple soudé derrière une élite conduite par un chef suprême incarnant le destin de la nation ou de la race. » P. 52.
 « La politique de civilisation », « un rééquilibrage du capitalisme par la culture », « davantage de morale ; d’esthétique, de spirituel que de comptabilité », ne sont-ce pas là les mots du nabot ? -

« Dans les deux pays (Italie et Allemagne), les forces conservatrices s’accordèrent avec les régimes sur un certain nombre d’orientations fondamentales : mise au pas de la contestation populaire et élimination du pluralisme démocratique, réaffirmation des principes de hiérarchie, d’ordre et d’autorité, quête de grandeur nationale. » P. 161. - « Le pays a besoin d’une autorité retrouvée ... » Alain Lambert, ex ministre du Budget, proche du nabot. Cité par Maurice Rajsfus – « Portrait physique et mental du policier ordinaire », Après la lune, 2008. « Les élites de l’État souhaitaient la restauration d’une autorité qui leur paraissait avoir été minée par l’interférence des partis. Le monde économique aspirait à l’élimination de la « politique » et au rétablissement de la discipline dans les entreprises. L’armée voyait dans la remise à l’honneur des armes et des valeurs martiales la perspective d’un enrégimentement sans entraves du peuple tout entier. Quant aux Églises, elles souhaitaient arrêter le mouvement de laïcisation de la société et entreprendre sa rechristianisation. » P. 17.

« À cette labilité de l’organisation administrative du IIIe Reich (...) s’ajoutait, élément souvent négligé, une informalisation juridique croissante. Passe encore que la confection des lois respectait de moins en moins les formes. La frontière entre décret, ordonnance et loi s’estompait, et les juristes eux-mêmes en venaient à accepter qu’une déclaration orale de Hitler ait force de loi... Plus grave, et symptomatiquement, la législation échappait de manière croissante à la publicité, condition indispensable d’une administration efficace. (...) La désagrégation de l’unité administrative avait pour pendant la concentration de tous les fils entre ses mains. En lieu et place d’une instance collégiale de délibération et de décision, un modus operandi s’était installé, dans lequel environ une centaine de responsables lui rendaient compte en tête à tête. » P. 106.
 « Eh oui, un « expert » de l’intérieur pour diriger le renseignement extérieur (DGSE) : on ne peut être plus explicite sur le rapprochement du maintien de l’ordre et du contre-espionnage. Comme pour la DCRI, le message est clair : tous les services à la botte personnelle de N.S., et tous ensemble, par tous les moyens possibles, contre un ennemi informe, à la fois intérieur et extérieur – le « terrorisme », entendez « toute tentative de subversion ». » « No pasaran », novembre-décembre 2008 – P. 9. Ajoutons, ça vient de sortir, la suppression du juge d’instruction, qui pourtant...

« Le concept de charisme, élaboré par Max Weber, est, à cet égard, plus satisfaisant. Par charisme, il faut comprendre une qualité extraordinaire attribuée par un groupe de fidèles à un personnage qui se présente comme investi d’une mission. (...) Il ne suffisait pas d’obéir, il fallait faire sien, voire anticiper par des actes la politique de Hitler [et risquer de se planter, ou faire semblant, en lui donnant le rôle d’arbitre suprême, ce qui fait le bonheur de la Mare aux Canards]. Or cette attitude a été intériorisée par de nombreux Allemands qui n’appartenaient pas forcément aux cercles les plus proches du régime, et elle a facilité l’exécution d’ordres qui étaient littéralement hors la loi et, parfois même, n’étaient présentés que comme de simples « souhaits » du Führer. Ainsi se comprend mieux la participation de tant d’hommes et de services aux entreprises criminelles nazis. » P. 115. « Hitler s’imposa au parti nazi bien avant d’arriver au pouvoir, le rebâtissant autour de sa personne dès le milieu des années 1920. Devenu chancelier, il étendit à l’État dont il avait pris les rênes le style de commandement néoféodal rodé dans le parti. La relation de suzerain à vassal, fondée sur la fidélité personnelle, encourageait des délégations de pouvoirs faites sans souci de délimiter les compétences de chacun et la multiplication d’appareils administratifs extraordinaires dépendant directement de la volonté du Führer. (...). Des millions d’Allemands le virent comme le détenteur d’une grâce particulière et le possesseur de pouvoirs extraordinaires, ce qui est la définition même du charisme. Pénétré du sentiment de sa mission, il se montra fidèle au rôle de chef charismatique en recourant au bluff et au pari dans son action politique, notamment sur la scène internationale. » P. 78.

Aussi faut-il être bien sûr de soi pour prendre le risque de compter sur la capacité de la population, notre capacité, aujourd’hui pas plus que hier, à résister au pire, c’est-à-dire « au point de ne plus même concevoir la question de la légitimité de l’ordre social, pour quoi il faut distance réflexive et conscience du conflit. »

Devons-nous être indifférent au fait que, pour Hitler : « La révolution n’est pas achevée, elle ne peut jamais être achevée. Nous sommes le mouvement, la révolution perpétuelle. » ? On a beau jeu de rétorquer que le communisme " est " mouvement, et qu’il ne s’identifie à aucune figure, à aucune idole. Qui domine à présent ? Oui, le fascisme est "le" mouvement de la domination bourgeoise s’adaptant autant que de besoin à chaque période. Pouvons-nous nous satisfaire de l’illusion volontariste qui voudrait que les ressentis des petits salariés subissant la dureté du temps se transforment quasi automatiquement par la force du verbe et de révoltes sporadiques, en remise en cause du régime ? Par quelle magie ?

Les ouvriers qui constituaient 54,5% de la population allemande, représentaient 35, 9% des adhérents nazis. Ce rapport est de 42,6% et 54,9% pour les classes moyennes (eh oui, les classes moyennes ont constitué près de 55% des effectifs du parti nazi !), de 2,8% et de 9,2% pour les "élites" . « Certains secteurs se distinguèrent par leur soutien au régime, en premier lieu les médecins, qui battirent des records d’adhésion. Un médecin sur deux était inscrit au parti nazi, et un sur dix à la SS, ce qui n’allait pas être sans incidence sur leur participation à la violence nazi. » P. 122.
Quoi d’étonnant à ce qu’en nombre, les ouvriers (les travailleurs manuels salariés) constituaient le gros des troupes du nazisme ? Mais encore plus le gros des troupes n’adhérant pas ! Ceux-là forcément, mais pas que, des ouvriers communistes (au sens large), nombreux à l’époque. L’affinement de l’analyse montre que parmi les ouvriers, ce sont les ouvriers de la campagne et des petites villes, des petites entreprises artisanales, qui adhérèrent le plus. Comment nous instruisons-nous de ce fait pour relier ce que chacun connaît aujourd’hui : l’éclatement des grandes entreprises en de multiples entreprises de sous-traitance, à la constitution d’un nouveau terreau du fascisme ? L’enjeu est de taille lorsque l’on constate que « parmi les nouveaux adhérents, la part des ouvriers augmenta nettement jusqu’à atteindre 42,6% en 1942-1944. » P. 95. Ainsi que celle des femmes (35%). Sans se leurrer sur la place de chacun : « Les ouvriers étaient pratiquement absents des cadres du parti. » P. 94. Il n’est pas question de nier le travail fait par les militants vers ces catégories et celles des petits employés, notamment de la grande distribution, mais...

Dans cette contextualisation, les artifices actuels du fascisme peuvent se ressituer un à un. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut négliger les discours du dictateur. N’aurait-on pas dû prêter plus d’attention à ce qu’Hitler écrivait dans « Mein Kampf » (et il ne suffit pas qu’une minorité en soit consciente) ? Dans ces discours il y a les messages qui doivent être entendus par ceux qu’ils concernent, leur profusion visant à les masquer. Il y a les mensonges aussi, qui renseignent aussi. Surtout lorsqu’on les relie à ce qui se fait.

« ... formulons l’hypothèse que la concentration du regard sur les inégalités sociales nous fait peut-être manquer une autre réalité, celle d’une recomposition partielle d’identité qui fit apparaître ces inégalités, aux yeux des Allemands, comme un aspect seulement de leur situation. » P. 124. « Si la communauté populaire ne fut pas un vain mot pour beaucoup, elle se réalisa aussi dans la solidarité partagée avec la politique de répression et d’exclusion du régime, surtout quand elle s’inscrivait dans le sillon de préjugés traditionnels : ainsi quand il s’agissait de mettre au pas les tsiganes - voir l’Italie berlusconienne -, les « asociaux », les homosexuels, ou de discriminer les juifs. (...) » P. 130

Que lit-on aujourd’hui sur le site des copains « Anti délation » :
Fichage des malades psychiatriques
Assimilation malades psychiatriques/délinquants
Responsabilité pénale dès l’âge de 12 ans avec possibilité d’emprisonnement
Affirmer l’idée du dépistage possible de la délinquance dès 3 ans
L’appel à délation sur des sites policiers
L’instrumentalisation des professionnels des secteurs du social, de la santé, de la justice et des agents administratifs
Le Service Citoyen Volontaire dans la police qui se développe
Mise en réseau des différents fichiers administratifs permettant par exemple la traque des sans papiers, la criminalisation de la pauvreté
Contrôle de l’opinion, atteinte à la liberté de pensée (ex : appel d’offre « veille opinion des enseignants » lancé par le ministre de l’éducation nationale…)
Nouveaux fichiers de contrôle de la population (ex : EDVIGE)
Actions d’intimidation violentes à but préventifs (ex : descente policière dans les collèges…).

On peut ajouter le bourrage de crâne permanent sur les « risques » : domestiques, pédophilie, serial killers, terrorisme, déchets chimiques et nucléaire, risques naturels, etc., etc., renforcé par les séries américaines à la mode propagande FBI, et les jeux vidéos " guerriers ", n’en déplaise à ceux qui pensent que l’idéologie du support du " défoulement " est indifférente.

Gardons en tête que le combat de la bourgeoisie était (est) contre le communisme, c’est-à-dire contre la classe ouvrière consciente et organisée, puissante à l’époque. Et il ne connaissait pas plus de frontières à l’époque qu’aujourd’hui. L’idéologie nationaliste a servi à exterminer au combat une partie des masses prolétaires d’une manière plus fine, on dirait chirurgicale, qu’on ne croit. L’Europe, dans notre monde « globalisé » aux élites et aux « réseaux d’influence » mondialisés, mérite d’être lue en ce sens. L’ « ethno-nationalisme impérialiste » devenu l’ethno-occidentalisme, aussi. De même que la « crise », guerre économique.

« Comme l’a écrit Martin Broszat, l’attitude de la population pendant la guerre fut un « mélange psychologique de panique, de fidélité, de pitié envers soi-même et de mensonge, qui rendait moralement aveugle à l’égard des excès commis par le régime contre les juifs, les Polonais, les travailleurs venus de l’Est » P. 130. On peut rajouter contre les communistes et les syndicalistes.
« Les deux régimes partageaient un projet politique semblable qui visait la formation d’une communauté nationale unitaire et conquérante, aveuglément mobilisée derrière un chef absolu. » P. 13.

Pour Durrin, quatre éléments structurels constituent les régimes fasciste et nazi en une famille politique distincte (notamment du régime soviétique qui avait certains instruments de pouvoir similaires) : l’alliance avec les forces conservatrices (groupement d’intérêts de l’industrie et de la propriété foncière, armée, Église. Ceux-là mêmes qui aujourd’hui se présentent comme progressistes...) et les élites (cadres de l’État de la haute administration, de la justice, de l’Université. On peut y ajouter des médias.), le duel du parti et de l’État (est-il erroné de penser qu’aujourd’hui, ils sont en voie d’indistinction ?), le soutien populaire (il est allé en augmentant jusqu’à la fin de la guerre pour Hitler, s’appuyant sur l’intimidation et les succès militaires, la démoralisation des oppositions et l’absence d’alternative politique crédible pour la majorité de la population), le mythe du chef (le mythe, car le chef n’est jamais une émanation solitaire ...). Cela n’a pas été donné du jour au lendemain, mais s’est construit par un renforcement mutuel. « Conclu sur la base d’un large recoupement d’intérêts et de valeurs, le compromis autoritaire - on dirait sécuritaire... mais la mise au pas est la même - apporta une contribution majeure à la stabilisation des régimes et à leur durée. Il fut pourtant soumis de la part du pouvoir à un constant et insidieux processus de révision auquel les forces conservatrices répondirent par un mélange d’adaptation et de défense de leurs positions. Le pouvoir déclarait sa volonté de contrôle total, mais l’unité de surface recouvrait une substantielle diversité d’identité, d’intérêts et de visées, qui persistèrent d’autant plus aisément que l’adaptation avait été plus volontaire et plus rapide : le régime rencontrait l’obstacle de ceux qui prétendait le soutenir. » P. 17.

Le pire danger qui nous guette dans l’analyse du fascisme est l’approche monolithique et d’oublier que les petites compromissions conduisent aux pires complicités.
Par exemple :
pour le rapport entre le parti et l’État, « le point décisif est que l’un et l’autre étaient des instruments au service d’un chef qui, tout en favorisant l’affirmation progressive du premier, les utilisait alternativement ou simultanément selon l’objectif visé, la conjoncture existante et l’état des relations avec les forces conservatrices. » P. 26.
Pour la base populaire, « à travers les récriminations incessantes de la population, il apparaît que les inégalités sociales continuaient d’être perçues avec acuité. Pourtant, ce mécontentement ne se tourna pas contre le régime, neutralisé qu’il était par l’approbation que trouvait la politique nationale incarnée par Hitler. (...). Ajoutons qu’on s’expose à méconnaître la nature des attitudes populaires en les interprétant en termes exclusivement politiques, en imputant des motifs politiques à tout comportement où se marquait une distance envers le régime. (...) Pas plus que l’on ne peut déduire le consentement de l’absence d’opposition, il ne faut inférer un désaccord politique de l’existence de formes d’opposition culturelle. » P. 34.
En ce qui concerne les ouvriers, « catégorie sociale qui s’est révélée la moins facilement pénétrable pour les régimes fasciste et nazi », « d’un coté, une identité fondée sur un fort sentiment de différence et d’injustice opposait à la propagande du pouvoir une barrière mentale qui trouvait expression dans le recours à des formes traditionnelles de défense symbolique comme le rire, la plaisanterie, la chanson. D’un autre coté, cette même identité exposait à un emprise partielle parce qu’elle incorporait des valeurs – la dignité du travail, le respect de l’ordre, le culte de la virilité et de la puissance physique – que le régime mettait lui-même à l’honneur. » P. 35.
« Effet des instruments du régime qui, à coté de leur travail de pénétration du tissu social, de fragmentation des solidarités et de répression des oppositions, tiraient profit de formes plus subtiles de contrôle : intériorisation du conformisme extérieur : salut fasciste – hymne national, drapeau, outrage au chef de l’État et à ses affidés...- ; nationalisme populaire : à travers le sport qui reçu une impulsion considérable, les voyages, la propagande touristique, les fêtes et les rites sociaux ; les succès diplomatiques et militaires.
Le soutien qui résultait de ces motifs hétérogènes bénéficiait au chef plus qu’au régime dans son ensemble (mais cela résulte d’une stratégie calculée). Les ministres et le parti étaient tenus en piètre estime et concentraient sur eux des critiques et des mécontentements dont le chef était exonéré. » P. 37

En ce qui concerne la question du mythe du chef, il faut lire les pages de Burrin en cherchant, non pas à faire une analogie mécanique, mais en appliquant l’analyse aux formes multiples, circonstancielles, opportunistes, que la création du mythe nécessite pour s’imposer à la majorité. Il ne s’agit pas de faire du copier-coller mais de faire l’exercice de la transposition dans les schèmes et les techniques modernes d’une entreprise à visée totalitaire planétaire (comme celle que l’on trouve dans les romans de science-fiction et d’anticipation des années cinquante, par exemple).

« La révolution fasciste était dans la logique de ses principes une « énergétique » : il lui fallait continûment élever la tension populaire pour façonner (l’image de l’artiste modelant les masses dont les dirigeants fascistes et nazis usèrent en abondance) toujours davantage le peuple en tant que peuple fasciste, pour l’empêcher de retomber dans l’indissociation et l’impuissance. Toute sa tâche portait sur les moyens de développer cette énergie. (...) D’où la figure essentielle de l’ennemi... » P. 64. - « Être solidaires les uns des autres d’un nouveau monde qui se construit », « la crise comme un défi », « changer les comportements » dit le nabot au service de l’Empire dans la version moderne -.

« Ainsi s’éclaire le paradoxe : populaire et plébiscitaire, le fascisme s’installait sur le terrain de son ennemi démocratique pour mettre en scène un peuple renonçant solennellement à son pouvoir d’institution parce que tel était le seul moyen de créer une société qui anéantirait la démocratie en rendant l’idée même d’une altérité sociale proprement impossible. » P. 71.
« Il m’est arrivé de dire (...) qu’en période troublée, un Français sur deux peut devenir auxiliaire de police, l’autre l’étant peut-être déjà. » M. Rajsfus.

Envoi

On peut (et l’on doit) se gausser du ridicule du dictateur, mais il faut se garder de penser que cela peut suffire à le déstabiliser. Pas plus que n’importe quelle guerre ne se prépare en deux semaines http://bellaciao.org/fr/spip.php?article76824 (constat qui dévoile tous les stratagèmes mis en œuvre pour en masquer les préparatifs et les véritables objectifs), une prise de pouvoir et son établissement totalitaire ne dépendent des circonstances immédiates. Au contraire, ils s’y adaptent, les utilisent. Le succès n’est certes pas garanti pour autant, mais quand le projet devient visible, il est déjà bien avancé. Il est alors mortel de ne pas sortir des querelles toutes affaires cessantes, en dépit des rancœurs que le combat quotidien, voire routinier, a généré. Car il faut faire flèche de tout bois : s’attaquer à l’image, désacraliser, dénoncer les pratiques, dévoiler les mensonges, soutenir les victimes expiatoires du régime de l’arbitraire, soutenir chaque lutte, fourbir les armes matérielles et théoriques dont on a besoin, et toutes choses nécessaires. Quelques-uns, veilleurs têtus, dès les premiers jours et de tous temps l’ont fait. Mais il faut plus encore. Il faut des signes qui confirment que l’on a pris la mesure du danger et de la nécessité de la riposte commune et élargie. Pas des vociférations qui crient au loup dans le désert des convaincus, pas des exhortations dans la tourbe des forums, pas des appels incandescents à des chefs de partis qui ont montré depuis longtemps leur duplicité. Non, cela n’incite pas à la lucidité nécessaire. Mais des signes concrets qui dans l’échange même manifestent qu’on a pris acte du fait que le temps des règlements de compte est dépassé. Prenons attention à ceux qui essaient de fourbir et d’inventer les armes, ignorons (en s’en méfiant quand même) les aveugles qui mettent leur colère au service de stratégies indignes. Oui, nous avons la culture de l’échange sans gants qui suppose des égos qui n’ont rien à prouver (mais la forfanterie, on la trouve aussi dans l’autre camp, c’est toujours l’autre qui fait preuve de susceptibilité) et le respect de celui avec lequel il faudra bien construire... après. Mais n’en appelons pas aux vertus tribunitiennes de grands ancêtres qui ne se trompaient ni de combat ni d’ennemi et situaient - à chaque fois (ils n’avaient pas peur d’être longs) – l’analyse musclée des stratégies des uns et des autres dans la perspective du monde à construire. « Mais les patrons, les impérialistes et leurs chiens de garde font-ils dans la dentelle, eux ? » Vœux du collectif Bellaciao. Certes non, mais ils ne se déchirent pas entre eux. Et serait-ce une raison quand même ? Devons-nous mettre la hargne militante à n’importe quelle sauce ?

Pouvons-nous nous satisfaire de théories qui affirment que l’apolitisme fait le jeu du pouvoir, ce qui pourtant est vrai ? Et que - donc ! - ceux qui ne prennent pas parti sont de son coté ? Que « qui n’est pas avec nous est contre nous » ? Logique qui, in fine, justifierait que la terreur des bombes, qui donc n’est pas aveugle, peut viser les foules indistinctes, complices, par leur passivité, de l’oppresseur. Ou se persuader qu’il nous faut « forcer » la conscience des crédules.
« Il faut s’unir pour arrêter le capital. À ceux qui lui rétorquent qu’ici, en Europe, il y a trop de gens « au milieu ou en haut et qu’on a pas leur capacité à s’organiser, qu’on est divisés », il répond qu’on tombe dans la dynamique du patronat qui nous fait croire qu’on est désorganisé... il suffit d’identifier l’ennemi, il faut construire ce monde possible ; on doit « sumir la juventud » et les accompagner jusqu’où on peut. « Il faut puiser dans la mémoire historique pour s’organiser ». » No pasaran, P. 17. Il suffit...

Pouvons-nous nous contenter de discours du type : « Nous savons depuis longtemps que, malgré les apparences plus ou moins libérales qu’elle se donne, la police est toujours et par essence notre ennemi ; qu’elle se détache de la « justice » si elle le juge bon : plus la police sera isolée, plus elle sera vulnérable, plus notre ennemi sera l’ennemi de tous. » No pasaran, P. 11.
Auquel on peut répondre : « Claude Piquant met également l’accent sur l’une des principales perversions de la police : cette volonté de faire peur, et de réprimer tous azimuts. Il rappelle que ceux qui côtoient chaque jour de plus en plus de policiers ne peuvent retenir ce réflexe " anti-flics " qui tenaille aussi bien les jeunes des banlieues que les militants... Réflexe bien compréhensible (...) quand on se retrouve quotidiennement en butte aux tracasseries savamment mises au point pour engendrer ce réflexe. » Même si : « (Le policier) agit, il réprime, et installe son pouvoir sur l’absence de réaction de ceux qui ne peuvent imaginer ce que peut représenter le poids du rôle actif de la police. (...) Face à l’ordre en uniforme bleu nuit, il y a surtout ceux qui ne veulent pas regarder la police en action, qui ne veulent pas avoir d’ennuis. Ces indolents, ces mous, ces poules mouillées, ces démocrates ressemblant à des chiffes molles mettent en danger nos libertés, tout autant que ceux que le pouvoir délègue pour faire peur. Tous ces citoyens de pacotille, qui accepteraient le pire des systèmes répressifs pour assurer leur apparente sécurité, ouvrent la voie à la répression allant de soi. Ces lâches qui desservent cette démocratie qu’ils sont persuadés de servir rendent la police encore plus énervée. Ces couards, ces poltrons, permettent aux hommes coiffés d’une petite casquette de bomber le torse. Ces faibles d’esprit, ces mauviettes qui ne connaissent que la peur du gendarme, renforcent cette société autoritaire aux aguets des moindres faiblesses d’une masse de plus en plus effrayée. Dans un monde de pleutres, le policier est roi ! » Maurice Rajsfus.
De là la tentation des provocations pour faire dégénérer les manifs... ce que savent très bien faire les flics tous seuls.

Le dialogue sur ces questions sensibles (et bien d’autres), dont les réponses nous divisent, n’est-il pas possible sans tabous et sans haine (grossirais-je le trait ?), si nous prétendons avoir le même ennemi et la même conscience de la nécessité de... l’union des forces ? Il est certain que pour cela il faut mettre de coté l’anathème et les formules rédhibitoires. Que le camarade n’est pas un « gros con » parce qu’il ne conçoit pas les choses comme soi (on a assez à faire avec les salopards). Admettre que Sa Cause et sa conception de l’action ne sont que parties de la cause commune. Que dans l’action on ne s’exclue pas parce qu’on n’a pas la même vision des méthodes, sans vouloir mettre l’autre au pied de son mur. Ces positions ridicules (j’ose !), qui relèvent plus du béhaviorisme, voire de la méthode Coué, que de l’intelligence militante, nous mènent à la défaite, à chaque fois. Rien d’œcuménique là-dedans. Ni de simple. Mais si nous sommes capables (si non, et alors ?) d’affronter les bandes armées (ou pour d’autres lire un texte de plus de quatre lignes), nous pouvons aussi nous atteler à ça. Sinon, tant pis pour nous... Il restera à espérer que, par on ne sait quelle magie, parce qu’on aura crié « tous ensemble », tous vont se lever et resteront debout jusqu’à la victoire... Et je l’espère quand même, contre toute rationalité.

Dans le monde des moyens de communication moderne, il faut bien que quelqu’un assume d’être le support fragile de la convergence nécessaire des identités affirmées ou non. Sans exhaustivité, au contraire, sinon la cible serait bien trop aisée pour l’adversaire à l’affût et il faut préparer des situations de repli, pourquoi ce site, je parle de Bellaciao, qui a fait ses preuves de pertinence (je parle de sa conception qui fait son succès, pas des positions personnelles de ses auteurs dont c’est l’affaire mais qui n’y sont pas pour rien) ne serait-il pas ce support ? Je devrais dire qu’il l’est déjà si je ne sentais dans certaines interventions l’expression de quelques crispations à cause de la suspicion, certainement fondée d’ailleurs, d’être infiltrés par de faux frères, ou attaqués injustement. Oui, cela est certainement. Mais il faut que l’œuvre réalisée soit plus forte. Qu’ayant pris l’initiative qui de fait est validée par l’usage que d’autres en font, les auteurs en assument la dimension et les risques inhérents (ce dont je ne doute pas). Quelqu’un s’inquiétait il n’y a pas longtemps de « qui voulait la fin de Bellaciao » ? Certainement beaucoup. Mais ceux qui peuvent la provoquer (je ne parle pas là de l’appareil répressif), ce sont plus sûrement ses auteurs eux-mêmes. Rien ne serait pire pour eux, et je le dis, pour nous, qu’ils ne prennent la mesure de ce qu’ils ont créé. Que l’on ne me traite pas de donneur de leçons en évoquant cela, je suis certain que ça imprègne leurs débats internes et ils ne m’ont pas attendu pour ça puisqu’ils ont fait ce site. Contribuons plutôt, par la qualité, au moins l’effort, de nos échanges à renforcer ce qu’ils ont mis sur pied.

Un révolutionnaire en charentaises... cloutées ! (Ah, la tentation des formules...)

Solidairement pour le communisme.

P’tit Nico

Messages

  • Salut,

    Merci pour la contribution (même si je dois avouer que je n’ai pas eu le temps de tout lire...)

    Quelques pistes de réflexions sur des sujets évoqués dans ce texte, sous formes de références :

    Sur la question du "commencement du fascisme" :
    T.W.Adorno, Etudes sur la personnalité autoritaire, c/o Allia.
    (Comment la possible adhésion au fascisme par l’individu repose sur ses structures mentales, le faisant réagir de telle ou telle manière à la soumission et l’autorité)

    Sur la question "qui est l’ennemi et comment le traiter" :
    J.Rancière, La haine de la démocratie, c/o La Fabrique.
    O.Negt, L’espace public oppositionnel, c/o Payot.

    Sur la question des identités et de la fétichisation dans le capitalisme (des objets, des relations, du pouvoir, etc...)
    J.Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir, c/o Lux.

    On peut trouver des textes de ou sur ces auteurs et sujet dans la revue en ligne de théorie critique Variations : www.theoriecritique.com

    Voilà !
    Bonne lecture !

  • Il faut bien distinguer les questions sur la psychologie fasciste (qu’est)ce qui fait que l’autoritarisme, et la plasticité du fascisme séduit tel ou tel individu) et celles sur le fascisme en tant que mouvement de masses.

    Ce qui distingue fortement les fascismes des régimes autoritaires classiques (bonapartisme et ses dérivés) c’est justement le fait que les fascismes correspondent à un stade du capitalisme ou l’écrasement physique du mouvement ouvrier, même de sa partie modérée, est nécéssaire au rétablissement de l’ordre bourgeois.

    ainsi, le PS allemand en 1933 tenta pendant des mois de s’accomoder d’Hitler, en virant de sa direction tous les juifs par exemple, mais cela n’a pas suffis aux nazis qui avaient besoin de revenir sur tous les acquis sociaux pour relancer le complexe militaro-industriel et partir en querre plus tard. D’ou l’élimination totale.

    Il faut aussi noter que la représentation classique du fascime comme un mouvement partiellement ouvrier est largement fausse (contrairement à ce que prétend un Goldhagen par exemple) : la Volkswagen était en fait réservée aux membres du parti, maires des villages etc, les familles ouvrières qui en avaient commandées (et payées d’avance) ne les ont reçues qu’après la guerre.

    enfin, il faut garder à l’esprit que les nazis ont pu puiser dans un large vivier : l’aristocratie allemande était privilégiée jusqu’en 1918, l’agriculture allemande employait beucoup plus de main d’oeuvre que la francaise jusqu’aux années 30 : quand ces classes ont été dépassées par l’histoire, quand les communistes staliniens et la sociale démocratie ont fait la preuve de leur total absence de volonté de prendre le pouvoir pour établir un état d’ouvriers et de paysans, ces paysans, et un certain nombre de travailleurs qualifiés démoralisés et de contremaitres, ont rejoint l’aristocratie désargentée et la petite bourgeoisie.

    • Si l’on peut distinguer des formes, démocratiques (sic !), autoritaires ou fascistes, on peut donc parler de plasticité de la domination bourgeoise en fonction des moments du rapport de force et des besoins d’accumulation du capital, non ?

      merci pour ce complément,

      P’tit Nico

    • "Ce qui distingue fortement les fascismes des régimes autoritaires classiques (bonapartisme et ses dérivés) c’est justement le fait que les fascismes correspondent à un stade du capitalisme ou l’écrasement physique du mouvement ouvrier, même de sa partie modérée, est nécéssaire au rétablissement de l’ordre bourgeois. "

      Oui, mais cette remarque n’interdit pas forcément de multiplier les approches pour déceler les relents fascistes et leur expansion. C’est le propos défendu dans "Etudes sur la personnalité autoritaire"

      En fait, quand on parle de soumission et d’autoritarisme, une lecture en terme de classe est trop réductrice. Et si la domination capitaliste avait besoin du fascisme (dans l’exemple allemand) pour se maintenir, le fascisme a lui trouvé des relais de masse.

      Ce que je veux dire, c’est qu’il est inutile de rester dans un idéalisme de classe et d’affirmer simplement que le fascisme c’est la faute des bourgeois. Une telle lecture ne permet pas de déceler les potentialités fascistes où qu’elles soient et donc n’en permet pas une critique qui servirait dans les luttes anti-fascistes (ou contre l’autorité en général et pour l’émancipation).

      Par exemple, il est important de comprendre pourquoi une partie des classes populaires a voté sarkozy, y compris certains syndicalistes de gauche. N’y a-t-il pas là une fascination pour l’ordre, l’autorité et un fort penchant ethnocentriste ? Pour comprendre ces phénomènes il faut trouver les outils pertinents, et l’appartenance de classe ne l’est apparemment pas.

      Voilà...

    • OK (et avec la remarque de Pti nico aussi)

      Mais si tu décéle cette tendance fasciste chez quelqu’un (ou quelques uns) de tes amis (ca m’est arrivé) tu ne peut pas te contenter de leur servir des critiques au niveau psycho, c’est lapproche de classe qui peut les faire changer d’avis, c’est dans cette otpique que je faisais ces remarques.

      Pour le vote de certains syndicalistes, ne sont-ce pas les mêmes qui ont quelque chose de bien matériel à gagner à certaines des réformes de Sarkozy (représentativité...).

      Sarko n’a pas encore de SA a sa disposition, je crois qu’il tomberait facilement devant un mouvement comme 68.

    • Il me semble que c’est, entre autre, ce que j’essaie d’expliquer ici ainsi qu’avec le texte à partir de W. Reich "La psychologie de masse du fascisme" http://bellaciao.org/fr/spip.php?article75615 et de textes précédents.

      Il ne me semble pas non plus que la phrase de 90 208 que tu reprends soit à interpréter comme tu le fais. Notamment parce que la phrase juste avant est : « Il faut bien distinguer les questions sur la psychologie fasciste (qu’est)ce qui fait que l’autoritarisme, et la plasticité du fascisme séduit tel ou tel individu) et celles sur le fascisme en tant que mouvement de masses. »

      Le fait que la bourgeoisie utilise dans la lutte des classes des mécanismes psychologiques inconscients (entre autres) confirme au contraire que cette question concerne tout le monde. Et qu’il est nécessaire de s’en préoccuper dans la pensée de l’action (la faire sortir des livres).

      D’autre part, il est intéressant de reconnaître aussi que les ouvriers regroupés et informés, dans et par la lutte, aidés par des intellectuels non phagocytaires, mais aussi par le caractère collectif de leurs conditions de travail, développent des capacités pour se protéger contre ces manipulations. Il y a là un enseignement pratique, non ? En tout cas, les dominants savent eux en tirer partie et font (ont fait) tous les efforts pour casser cette organisation ouvrière, y compris pour ces raisons. D’où aussi la responsabilité des intellectuels...

      Remettre ces questions, si possible sereinement, dans nos luttes est le sens de mes contributions à ce site qui le permet.

      Merci de tes remarques.

      P’tit Nico

  • Le Likoud risque de gagner les élections en Israel, j’aimerai bien lire un article avec des parralleles sur le front national pour connaitre et comparer le programme de deux partis de l’extréme droite, sauf qu’un est issu d’un parti politique ayant vécu un génocide qu’ on ne manque pas de nous rappeler

  • Il semblerait que l’humanité doit passer de l’inconscience (autant personnelle que collective)à la conscience !Nous sommes à l’Ecole de la Vie et tant que nous n’arriverons pas à "élever" d’un cran notre conscience,la destinée nous servira des vicissitudes du genre chemises brunes pour tenter de nous réveiller ou éveiller à notre nature profonde qui n’a pas grand’chose à voir certainement avec notre role principal de travailleurs-consommateurs !Après le dernier grand cataclysme nazi,vinrent les trente glorieuses de plus en plus confortables...et là nous nous sommes re-endormis en oubliant en route des valeurs comme solidarité par ex.Cela ne veut surtout pas dire que je justifie par là la barbarie !Mais je cherche une explication à son expansion apparente ! Lutter est nécessaire et indispesable,même si le jeu est "le pot de terre contre le pot de fer !Faire un bond évolutionnel.. ;un bond quantique...est essentiel si nous voulons nous créer un futur épanoui !

    • """
      Faire un bond évolutionnel.. ;un bond quantique...est essentiel si nous voulons nous créer un futur épanoui """

      En effet il faut reconnaître que de^puis 12 000 ans l’oppression regne ,la guerre,les massacres,les génocides et même si parfois surgit une révolution ,les forces de la réaction reprennent vite d’une main ce qu’elles ont perdues de l’autre .

      La constance dans la vigilance,l’action est trés trés faible et dés qu’un petit plus est arraché l’illusion que c’est acquis durablement imprégne les esprits .

      Non la conscience de classe n’est pas un fait issue de la classe(enfin pas seulement ,loin de là ) mais bien de la reflexion et de l’exigence morale .
      d’un projet de vie humaine et de respect des valeurs humaines.

      L’antihumanisme de Marx proné par Althusser me laisse perplexe

      toutes les classe exploiteuses ont crées les conditions de leur renversement,mais jamais au bénéfice de leur victimes .

      Une psychologie scentifique doit être utile pour expliquer l’immense désertion des exploités alors que d’apres Marx cela ne doit pas être .

      Damien

    • Le fascisme a comme caractéristiques majeures le pragmatisme, l’opportunisme, et plus encore, la plasticité. Il donne à voir ce que chaque composante de la société veut voir, du moins tant qu’il n’a pas suffisamment de force.

      Tout est dit

      Merci Petit Nico

      Solidairement et fraternellement

      BiggerBang

    • Merci, mais y a encore du travail...

      P’tit Nico