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Régression de la démocratie au Pays basque espagnol
Publie le samedi 13 mars 2004 par Open-Publishing
De Cédric Gouverneur (Monde diplomatique) 
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Un quart de siècle d’ETA
Au Pays basque espagnol, la lutte contre ETA dérape. A la mi-mars 2003,
la justice espagnole a interdit Batasuna, l’aile politique du groupe armé,
sous l’accusation de collusion avec celui-ci. Un mois auparavant, pour
le même motif, elle avait fermé « Egunkaria », seul
quotidien intégralement en langue basque. A la terreur que fait régner
ETA s’ajoute une répression liberticide, éloignant toute
perspective de dialogue. Dans la droite ligne du combat que le premier ministre
espagnol José Maria Aznar prétend mener contre le terrorisme.
« La première priorité d’une démocratie est
  de protéger la vie humaine », estime M. Ramon Mugica. Cet avocat
  de Bilbao était deuxième sur la liste du Parti populaire (PP,
  droite) aux élections municipales de 1995. Ce qui lui a valu de figurer
  sur une autre liste : celle des cibles d’ETA (1). « Dans une démocratie,
  renchérit M. Hector Portero, jeune conseiller municipal PP de Bilbao
  menacé de mort, les partis politiques doivent respecter les règles
  du système démocratique. Ce qui est loin d’être le
  cas de Batasuna. »
Le 17 mars 2003, le Tribunal suprême espagnol a déclaré hors
  la loi la coalition indépendantiste, en se fondant sur une loi de juin
  2002 interdisant tout parti qui refuse de « condamner le terrorisme ».
  Une mesure d’exception : Londres n’a jamais interdit le Sinn Fein,
  bras politique de l’Armée républicaine irlandaise (IRA),
  et la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a renoncé à proscrire
  le parti néonazi NPD. Seule la Turquie a décrété l’interdiction
  du Refah (islamiste) et du Hadep (kurde).
Créée en 1978, la vitrine politique d’ETA a changé trois
  fois de nom en vingt ans. Cette fois, Madrid assure qu’elle ne pourra
  pas concourir aux élections municipales du 25 mai, malgré la
  création d’un nouvel ersatz nommé AuB. Batasuna, avec sept
  députés au parlement de la communauté autonome du Pays
  basque (CAPV), représente 10 % de l’électorat et contrôle
  62 mairies en Euzkadi et en Navarre. Son interdiction légale se double
  de mesures judiciaires prises par le juge Baltasar Garzon afin - comme aurait
  dit Mao Zedong - de vider l’eau dans laquelle évolue le « poisson » ETA
 : mise sous séquestre des locaux de Batasuna, saisie de ses comptes
  bancaires, fermeture de ses sites Internet, interdiction de son organisation
  de jeunesse (Segi), des associations de soutien aux détenus etarras,
  des manifestations faisant référence au parti... Le magistrat
  demande de plus à Batasuna 24 millions d’euros en dédommagement
  des violences urbaines commises par les jeunes de Segi. 
  Des relents de franquisme
Le contexte de l’après-11 septembre 2001 favorise cette offensive
 : dans toutes les démocraties occidentales, la simpliste « guerre
  contre le terrorisme » sert de prétexte à la restriction
  des libertés, du bagne de Guantanamo à l’extradition vers
  l’Italie des anciens des Brigades rouges réfugiés en France
  (2). Le premier ministre, M. José Maria Aznar, s’aligne d’ailleurs
  sur le Pentagone dans le dossier irakien - au grand dam de l’opinion
  publique - et multiplie les comparaisons stériles entre ETA et Al- Qaida.
L’interdiction de Batasuna s’explique aussi par l’autoritarisme
  du PP, dont certaines attitudes trahissent des relents de franquisme : fin
  mars, le ministre de l’intérieur, M. Angel Acebes, a purement
  et simplement « interdit » des manifestations contre la guerre,
  sans doute effrayé par le succès de celles du 15 février.
  Vainement : ce furent les plus importantes depuis le retour de la démocratie.
  Amnesty International dénonce l’« existence d’une
  véritable situation d’impunité (...) pour les agents de
  la force publique reconnus coupables de tortures » à l’encontre
  d’etarras (militants d’ETA) et d’immigrés. Des policiers
  mis en cause ont été graciés par l’exécutif,
  voire promus (3). Révélatrice de la relation ambiguë qu’entretient
  le PP avec le passé nauséabond de la droite espagnole, la décoration
  décernée en 2001, à titre posthume, à Meliton Manzanas
  au nom des « victimes de violences politiques ». Première
  personne tuée par ETA, en 1968, ce chef de la police de Franco à Irun,
  ex-collaborateur de la Gestapo, avait torturé et fait torturer des centaines
  de Basques.
Plus prosaïquement, cette interdiction a des visées électorales
 : si les trois quarts des Basques rejettent cette décision, elle est
  approuvée sans réserve par la société, les médias
  et les partis espagnols, révulsés par les attentats. Ainsi, 90
 % des députés ont voté en août 2002 la demande d’interdiction
  de Batasuna. « Ici, plus de 2 000 personnes vivent avec des gardes du
  corps », rappelle M. Gorka Espiau, d’Elkarri, association basque
  pour le dialogue, parrainée par des Prix Nobel comme l’Irlandais
  John Hume ou la Guatémaltèque Rigoberta Menchu. « Cette
  situation crée dans la société espagnole une demande de
  réaction. » En délicatesse avec l’opinion, « Aznar
  a trouvé, avec l’interdiction de Batasuna, une diversion sécuritaire ».
  Et peu importent les conséquences sur la résolution du conflit. « Personne
  ne peut prétendre en finir avec le terrorisme, admet M. Mugica. Mais
  les votes pour Batasuna vont se reporter sur le PNV », le Parti nationaliste
  basque (démocrate-chrétien), qui gouverne la CAPV depuis vingt-cinq
  ans. « Un moindre mal pour nous », espère-t-il. Pari politique
  risqué : la base sociale de Batasuna, révolutionnaire et indépendantiste,
  qualifie le PNV de « collaborateur », au sens vichyste du terme.
La « guerre contre le terrorisme » ne cible pas que Batasuna.
  Le 20 février 2003, M. Juan Del Olmo, juge de l’Audiencia nacional,
  a fermé sur ordonnance Egunkaria. La justice soupçonne l’unique
  quotidien intégralement en langue basque, diffusé à 15
  000 exemplaires et employant 150 personnes, d’être un « instrument
  d’ETA » qui « diffuse dans ses pages l’idéologie
  terroriste ». Si Egunkaria a interviewé des etarras, il ouvrait
  ses colonnes à toutes les opinions. Accusés de liens avec ETA,
  dix dirigeants actuels ou passés du journal ont été interpellés.
  Sept d’entre eux ont retrouvé la liberté en échange
  d’une caution et parlent de mauvais traitements infligés par la
  Guardia civil. 
  La presse bâillonnée
Sous-directeur de Radio popular, le jésuite Txema Auzmendi, membre
  d’Elkarri - qui, interviewé en 2000, condamnait sans équivoque
  les actions d’ETA (4) -, affirme que les policiers lui ont fait croire à la
  mort de deux de ses amis. Peio Zubiria, ex-directeur d’Egunkaria, est
  tombé malade lors de sa détention. Hospitalisé, il a tenté de
  se suicider. Quant à l’actuel directeur, Martxelo Otamendi, il
  raconte : « Ils m’ont insulté, menacé, bandé les
  yeux, mis par deux fois un sac plastique sur la tête jusqu’à étouffement,
  privé de sommeil, obligé à faire des flexions... » Le
  ministère de l’intérieur engage des poursuites pour diffamation,
  en rappelant qu’ETA conseille à ses activistes de « dénoncer
  systématiquement de prétendues tortures (5) ». Pour leur
  part, Reporters sans frontières et Amnesty International demandent l’ouverture
  d’une enquête.
Critiquée par l’Unesco, par la société civile catalane
  et par certains médias espagnols (tels El Pais et El Mundo), la fermeture
  d’Egunkaria a suscité des réactions sismiques au Pays basque,
  provoquant un tollé de la part de tous les nationalistes, d’Izquierda
  Unida (IU, gauche), d’intellectuels, d’universitaires, de syndicats,
  d’associations culturelles, de journalistes, de sportifs. Elle est vécue,
  au-delà de l’atteinte à la liberté d’_expression,
  comme une agression contre le nationalisme basque, contre la langue et l’identité basques. « Elle
  nuit aux lecteurs, aux employés, mais aussi à toutes les activités
  culturelles basques que relatait le journal », déplore M. Otamendi.
Ses salariés ont aussitôt créé un nouveau quotidien,
  Egunero, 16 pages seulement. Il s’en vend 75 000 exemplaires, cinq fois
  plus que son prédécesseur. Le malaise est corroboré par
  les récentes perquisitions menées aux sièges d’un
  hebdomadaire et d’une revue scientifique en euskera (Argia et Jakin)
  ainsi que dans des ikastolas, les écoles basques. La spirale de l’antiterrorisme
  a beau parier sur la seule action policière et élargir sans cesse
  le champ de la répression, elle se révèle pourtant incapable,
  malgré les arrestations, de mettre un terme aux attentats. Elle finit
  par assimiler de fait nationalisme et terrorisme.
Au Pays basque, les atteintes aux droits de la presse n’ont pas débuté avec
  la fermeture d’Egunkaria : en mai 2000, un journaliste, José Luis
  Lopez de la Calle, est exécuté par deux etarras. « Franco
  avait mis José Luis en prison. Trente ans après, ETA l’a
  tué », écrit alors Gorka Landaburu dans l’hebdomadaire
  Cambio 16. Il est lui-même blessé quelques jours plus tard en
  ouvrant un colis piégé. Peu après, Santiago Oleaga, directeur
  financier du quotidien El Diario vasco, est abattu à San Sebastian.
  Depuis, une cinquantaine de journalistes vivent sous escorte (6). Ces attaques
  s’ajoutent aux attentats perpétrés jusqu’en Andalousie
  contre des élus du PP et du PSOE. Fin mars, à l’échelle
  de l’Espagne, il manquait encore au PP 1 500 personnes pour compléter
  ses listes de candidats en vue des municipales de mai : trop risqué...
« Qui sont les oppresseurs, qui sont les opprimés ? »,
  demande Mme Mora Gotzone entre ses deux gardes du corps. Basque, professeur
  de sociologie à l’université de Leioa, près de Bilbao,
  emprisonnée sous Franco, elle a, aux yeux d’ETA, le double tort
  d’être membre du Parti socialiste et de militer à Basta
  Ya !, mouvement citoyen contre le terrorisme et pour l’autonomie. Aux
  insultes de ses étudiants indépendantistes a suivi sa condamnation à mort
  par ETA. « Ma vie est devenue un enfer. Qu’ai-je fait à ces
  gens ? Défendre le pluralisme de la société basque, est-ce
  un crime ? »
S’il proteste contre la fermeture de son journal, Martxelo Otamendi
  refuse de condamner explicitement ces atteintes à la liberté de
  parole : « Notre ligne éditoriale est que tous les acteurs du
  conflit doivent cesser la violence et dialoguer. » Du bout des lèvres,
  il admet qu’ETA menace « aussi » la liberté d’_expression,
  puis relativise : « Le dernier attentat au Pays basque est ma torture. » 
  Un couple assassinat-répression
Appelons-les Inaki et Miren. Cultivé, professionnellement bien inséré,
  ce jeune couple appartient au noyau dur de quelques milliers d’inconditionnels
  d’ETA. Miren estime « justifiées » les exécutions
  de journalistes, car ces derniers « sont partisans ». « Justifiées »,
  aussi, les exécutions de conseillers municipaux, car ceux-ci « soutiennent
  la torture des militants et l’oppression du Pays basque ». « Ici,
  c’est le Chiapas, la Palestine », assure Inaki. Peu leur importe
  que la prospère CAPV (7) dispose de plus d’autonomie qu’un
  Land allemand, avec son gouvernement, son Parlement, son régime fiscal,
  sa police, que l’euskera y soit valorisé et que l’Espagne
  soit une démocratie : « L’autonomie est une liberté conditionnée
  au bon vouloir des oppresseurs. La lutte armée est la seule issue »,
  estime Inaki. L’interdiction de Batasuna ne les effraie pas : « S’ils
  nous empêchent de voter, nous les empêcherons de voter »,
  menacent-ils. Leur engagement s’explique par la bulle sociologique dans
  laquelle vit le monde radical, avec son parti, ses villages, sa propre histoire.
  Dans cet univers, les adversaires politiques sont vus comme des ennemis, car
  ils en menacent la cohérence idéologique. Leur élimination
  par ETA est donc « justifiée »...
Dès sa création, en 1959, en réaction à l’oppression
  franquiste, ETA identifie la situation d’Euzkadi, pourtant industrialisé, à celle
  d’une colonie du tiers-monde. L’Algérie colonisée
  sert alors de modèle théorique à ce postulat bancal. Actuellement
  encore, en contradiction avec la réalité socio-politique, ETA
  ne croit qu’en l’expulsion violente du « colonisateur (8) ».
En janvier 2003, ETA écrit au sous-commandant Marcos pour décliner
  une offre de médiation. Dans cette lettre ouverte (9), le groupe armé basque
  parle de la « résistance » des « indigènes » d’Europe
  et se compare volontiers à l’armée zapatiste. A lire ce
  texte, on n’imaginerait pas que Franco est mort depuis plus d’un
  quart de siècle. Cette perception tronquée explique la prétention
  de Batasuna, avec 10 % à 18 % des suffrages, de parler au nom du peuple
  basque (10) et de sublimer l’option armée, alors que celle-ci
  n’a plus aucune légitimité populaire : 90 % des Basques
  la rejettent, dont la moitié des 130 000 électeurs de Batasuna
  (11).
Appelons-la Rakel. Dans les années 1990, cette ouvrière a fait
  quatre ans de prison pour avoir hébergé des etarras. « J’aime
  ETA et je ne me repentirai jamais », précise-t-elle. Son village
  est un fief de Batasuna. « Actuellement, je ne vote même plus pour
  eux. Je m’abstiens : la rupture de la trêve nous a fait perdre
  la moitié de nos députés (12). Je ne condamne pas la lutte
  armée, mais la stratégie actuelle ne va nulle part. Nous devons
  changer pour ne pas tout perdre. Je ne voterai jamais pour le PNV, mais nous
  devons travailler avec eux pour avancer vers l’indépendance. Je
  ne dirais toutefois pas ça en public ici. »
M. Sabino Ayestaran est professeur de psychologie à l’université de
  San Sebastian. Indépendantiste, spécialiste du monde radical,
  il nous explique que les cibles d’ETA ne sont pas choisies au hasard. « Un
  exemple : Fernando Buesa, chef du PSE basque tué en 2000, voulait rapprocher
  les socialistes et le PNV ; ils auraient pu conclure un accord politique sur
  le dos d’ETA. L’objectif des attentats est de créer des
  contradictions internes aux partis. » A l’analyse du niveau lexical
  de la classe politique, force est de constater que cet objectif est atteint.
  Florilège relevé en quelques jours dans la presse : un ténor
  du PP menace le PNV de « poursuites judiciaires » pour son opposition à l’interdiction
  de Batasuna ; le ministre de la justice espagnol accuse le gouvernement basque « d’agir
  en avocat d’ETA » ; le PSE qualifie le pacte électoral PNV-EA
  (Eusko Alkartasuna) de « discours de dictature » ; Basta Ya ! définit
  le nationalisme basque comme « ethnique et tribal (13) » ; le PNV
  impute à Basta Ya ! la volonté de « créer un climat
  de guerre sale »... Invectives et menaces remplacent arguments et propositions.
  Comme si la violence etarra contaminait l’ensemble de la société basque
  pour la polariser.
« Chacun appréhende l’autre avec ses propres préjugés »,
  soupire Gorka Espiau, d’El Karri. Si les temps sont à l’intransigeance,
  les partisans du dialogue persévèrent. Entre octobre 2001 et
  2002, lors d’une conférence de paix, El Karri a servi d’intermédiaire
  entre des représentants de tous les partis - sauf le PP, qui a décliné l’invitation.
  Mme Gemma Zabaleta, députée socialiste à Vitoria, est
  ainsi l’une des rares voix du PSE à refuser l’interdiction
  de Batasuna : « L’Etat de droit doit rester irréprochable. » Elle
  prône des pourparlers sur l’exemple nord-irlandais. Mme Zabaleta
  est consciente de ce qu’elle risque : en 2000, ETA a abattu Ernest Lluch,
  patron du Parti socialiste catalan (PSC) et partisan du dialogue, en guise
  d’avertissement aux médiateurs non sollicités.
Ministre basque des affaires sociales, M. Javier Madrazo (Izquierda Unida)
  estime qu’« il faut élaborer un processus d’affaiblissement
  de la base sociale d’ETA, afin de transformer le groupe armé en
  une sorte de Grapo (14), un groupuscule sans appui et facile à démanteler ».
  Cette stratégie passe notamment par le regroupement au Pays basque des
  détenus etarras, dispersés dans les prisons d’Espagne (508
  détenus) et de France (115). Leurs proches doivent parcourir des centaines
  de kilomètres pour les visites au parloir ; selon Batasuna, treize ont
  péri dans des accidents de la route. « La dispersion est illégale
  selon le code pénal espagnol », souligne le ministre. Au nord
  des Pyrénées, les familles d’etarras, encouragées
  par le regroupement annoncé des détenus nationalistes corses,
  font pression sur Paris.
Mais cela suppose aussi une reconnaissance du droit à l’autodétermination,
  refusé par le statut d’autonomie de 1979, statut que 60 % des électeurs
  basques avaient approuvé à l’époque par référendum.
  La majorité plurielle qui gouverne la CAPV (nationalistes du PNV et
  d’EA, IU) élabore dans cet esprit une « proposition pour
  la coexistence » : ce nouveau pacte politique « souverainiste » reposerait
  sur la libre association entre Euzkadi et Madrid. Une relation d’égal à égal,
  où Madrid accepterait que, si Euzkadi fait partie de la « nation
  de nations » espagnole, c’est seulement parce qu’une majorité de
  Basques y consent. « Légalement, seul Madrid a le droit d’organiser
  un référendum, nous explique M.Joseba Egibar, porte-parole du
  PNV. Mais rien n’empêche une consultation. Si l’Espagne est
  une démocratie, elle devra en accepter le résultat. » Une
  sortie de crise à la québécoise, en quelque sorte.
Les indépendantistes les plus radicaux s’opposent à ce
  plan. L’interdiction de Batasuna et d’Egunkaria, relève-t-on
  dans un éditorial du quotidien indépendantiste Gara, « nous
  montre le futur qui nous attend » dans l’hypothèse d’« un
  pacte de coexistence avec la monarchie intronisée par Franco ». « Décidées
  par Madrid contre la volonté du peuple basque et sans recours possible
  de la part du gouvernement autonome, nous dit M. Otamendi, les interdictions
  de Batasuna et d’Egunkaria confirment ce que nous savions déjà :
  l’autonomie est illusoire et la démocratie inexistante. » Face à la
  répression, Gara fait semblant de se demander : « Que nous reste-t-il
  (15) ? »
Comme nombre de groupes armés, ETA fonctionne sur un mode action-répression-action
 : chaque attentat entend susciter une réaction exponentielle de l’Etat
 ; dans l’esprit d’ETA, cette répression doit en faire tomber
  le « masque démocratique » et pousser vers la « lutte
  armée » un nombre croissant d’individus. Affaibli par la
  pression policière, le groupe armé basque a tiré profit
  de l’intransigeance de Madrid : tous les observateurs notent qu’en
  s’écartant de l’Etat de droit et en criminalisant la base
  sociale d’ETA on conforte cette dernière dans sa « guerre
  contre le fascisme espagnol ». Cette criminalisation renforce même
  en son sein les inconditionnels de la terreur, nourrit sa subordination aux
  etarras et renforce ainsi l’appui logistique qu’elle leur apporte.
  Bref, la mise hors la loi de la bulle sociologique d’ETA éloigne
  tout dialogue, exclut et pousse vers la clandestinité des citoyens qu’il
  faudrait au contraire intégrer à la démocratie.
Cédric Gouverneur
http://www.monde-diplomatique.fr/2003/05/GOUVERNEUR/10143
Notes :
(1) Euskal Ta Askatasuna (« Pays basque et liberté ») a
  tué 23 personnes en 2000, 15 en 2001, 5 en 2002 et blessé des
  dizaines d’autres. Depuis 1968, ETA a tué environ 850 personnes,
  dont moins d’une centaine sous le franquisme.
(2) Lire Human Rights after September 11 ( http://www.ichrp.org/ac/excerpts/97.pdf
  ) , rapport de l’International Council on Human Rights Policy, Genève,
  2002.
(3) Amnesty International, Rapport annuel 2001 ( http://web.amnesty.org/web/ar2001.nsf/webeurcountries/SPAIN?OpenDocument
  ) . De hauts fonctionnaires espagnols impliqués dans les exactions des
  paramilitaires anti-indépendantistes GAL (27 victimes entre 1983 et
  1987) sont ainsi sortis prématurément de prison.
(4) Lire « Sanglante dérive des extrémistes basques » (
  http://www.monde-diplomatique.fr/2000/08/GOUVERNEUR/14155 ) , Le Monde diplomatique,
  août 2000.
(5) Document interne d’ETA daté du 19 mars 1998, cité par
  El Correo, Bilbao, 11 mars 2003. Amnesty International confirme néanmoins
  plusieurs cas de tortures.
(6) Reporters sans frontières, rapport de juin 2000. ( http://www.rsf.org/rsf/html/europe/rapport/basque/basque.html
  )
(7) Si l’on donne l’indice 100 à la moyenne du niveau de
  vie européen,la CAPV a un indice 101, l’Espagne, 82. Le chômage
  est de 8 %, un des plus bas taux d’Espagne. Dans les années 1970,
  la CAPV, en pleine reconversion industrielle, était pourtant sinistrée
  (statistiques : www.eustat.es).
(8) Lire Gurutz Jauregui, ETA, une histoire, Denoël, Paris, 2002.
(9) Lettre ouverte d’ETA datée du 1er janvier 2003. Disponible
  sur : www.lahaine.org/paisvasco/ repuesta_eta_ezln.htm
(10) M. Arnaldo Otegi, porte-parole de Batasuna : « Nous avons la seule
  légitimité que nous respectons, celle du peuple basque. » El
  Correo, 18 mars 2003. En avril 2002, lors d’une réunion publique à Saint-Jean-de-Luz,
  Otegi a crié : « Vive ETA ! »
(11) Sondage cité par El Pais, Madrid, 23 septembre 2001.
(12) Entre les élections de 1999 et celles de 2001, entre la trêve
  et la reprise des attentats, les radicaux sont passés de 18 à 10
 % des voix et de 14 à 7 sièges au Parlement autonome basque.
(13) Malgré le racisme de son fondateur Sabino Arana Goiri (mort en
  1903), le nationalisme basque - y compris celui d’ETA - est, au moins
  dans les discours, intégrateur, fondé sur le droit du sol. Lire
  Jean-Marie Izquierdo, La Question basque, Complexe, Bruxelles, 2000.
(14) Groupe de résistance antifasciste du premier octobre, groupe armé espagnol
  démantelé à Paris en 2001.
(15) Gara, San Sebastian, 19 mars 2003.
12.03.2004
Collectif Bellaciao




