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Ruralité, trop de tourisme tue le tourisme !

Publie le jeudi 20 mars 2008 par Open-Publishing
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de Mengneau Michel

Sans faire de nationalisme exacerbé, sans aucun chauvinisme, il faut reconnaître que la France est un beau pays. La diversité de ses paysages, ses parlers différents, allant du Breton gallo ou celte, à l’occitan, au Basque, sans oublier les patois, dont tous ces langages parlés ou écrits sont issus souvent d’origines ethniques différentes, d’où des cultures variées qui offrent aux visiteurs une palette sociale et des sites peu uniformes. Pour notre pays c’est là sa richesse et son attrait touristique.

Il fut un temps où notre pays avait aussi une vocation industrielle ; avec la mondialisation cet aspect de notre économie c’est peu à peu estompé et c’est donc vu remplacé par une économie tournée vers les services. Parmi laquelle le tourisme occupe une place prépondérante.

A la limite que l’on veuille faire connaître notre pays et en tirer quelques avantages cela est difficilement contestable. Surtout dans la mesure où l’on crée des emplois il n’y aurait peu de chose à dire, si ce n’est d’abord que ses emplois sont en majorité saisonniers et souvent mal rémunérés. Personnels exploités, voire surexploités que l’on utilise pour faire fonctionner les endroits où l’on a industrialisé le tourisme.

Industrialisation aux seuls profits de quelques nantis qui de plus par cette façon de faire détruisent le charme et l’intérêt de nos contrée, aussi parfois cela va à contrario du respect de l’environnement.

Comme le Marais Poitevin, une des régions que je connaît bien, n’échappe pas ce phénomène mercantile l’idée m’est venu de le narrer sous forme d’anecdote.

D’ailleurs le village dont il est question, autrefois très singulier et représentatif de la vie de ces marais est devenu une sorte de miroir à touristes, que certain n’ont pas hésité à appeler : « Coulon-land » !

L’Ancêtre,

Quatre-vingt-dix ans, un lustre, et des broutilles.

Il avait connu la grande guerre, et puis l’autre.

De ces erreurs du genre humain, il lui en restait toujours des souvenirs apparents, - les autres étaient au fond de son cœur, trop atroces pour être relatés. Il arborait donc fièrement la moustache du poilu de 14, un semblant d’habit bleu horizon, serré au bas de son pantalon par des pinces à vélo comme s’il portait encore ses bandes molletières ; c’est l’image, de l’ancienne image d’Epinal.

Lorsque l’on feuillette le vieil album de famille, il est là. Le regard fier, la moustache arrogante, les décorations épinglées, le pied levé reposant sur ses exploits, c’est l’Ancêtre.

Le nôtre avait toujours gardé de l’esprit de cette race de héros, en dépit des douleurs de l’Histoire, la gaillardise et l’humour.

D’ailleurs, il n’était pas rare de voir, quand une saute de vent soulève malicieusement le court cotllin* de l’accorte jeune fille, s’allumer une étincelle de plaisir au fond de ses yeux et fleurir sur le bord de ses lèvres une envie de compliment.

Mais le temps et les ans sont là, inexorables…

Alors l’Ancien, faisant foin de toutes les velléités passées, des petites envies qui le tortillaient encore, son grand âge aidant avait abordé l’existence d’une autre façon : il s’adonnait à la pêche à la ligne.

Noble activité, s’il en est !

Pourtant, certains considèrent ce loisir comme un sport. Appellation due sans doute à la déviance du monde d’aujourd’hui, qui veut que l’on transforme des habitudes séculaires en activités lucratives et sans aucun rapport avec le sens profond de la nature. En effet, rien n’arrête ces soi-disant aventuriers des temps modernes pour assouvir leurs manques de sensations fortes. Car ils préfèrent introduire sans respect du biotope, silures, carassins, truites mangeuses de maïs, écrevisses venues de n’importe où, grenouilles surdimensionnées, plutôt que de trouver des solutions qui protègeraient l’environnement existant. Mais par contre, pratiquée à bon escient, cette activité lorsqu’elle est faite de sagesse et de patiente observation du milieu naturel devrait être proposée à des fins thérapeutiques, afin de soigner bon nombre de ces excités, de ces névrosés de toutes sortes…

* le cotllin du patois poitevin était le cotillon de nos grand-mères ; de nos jours, appellation donnée encore parfois par les anciens à la jupe.

En plus de ces déréglés du monde halieutique, notre marais, autrefois un lieu de repos, de méditation, de regards étonnés et silencieux de la part de ses visiteurs, est de plus en plus visité par une cohorte de touristes bruyants, incohérents, irrespectueux et irresponsables. Toutefois, je demande pardon, pour ces propos un peu abrupts, aux rares qui connaissent, apprécient et aiment cette région. En espérant, sincèrement, qu’il nous aiderons à conserver l’authenticité de ce beau pays, mais là, c’est une autre histoire.

Malgré tout, l’Ancêtre n’avait rien changé à ses habitudes au cours de sa paisible retraite. Il pêchait immuablement depuis des années à la même place, à l’endroit même où le trafic des bateaux est devenu le plus important. Il lui avait donc fallut résoudre à sa manière les désagréments dus aux impertinences de ces explorateurs d’un jour.

Au début il ne répondait pas à leurs questions idiotes, se contentant d’hocher la tête d’un air réprobateur. Peu à peu au fil des heures, avec le va-et-vient des « plates » qui s’accentuait progressivement au ras de ses cannes à pêche, il commençait alors à répondre aux interjections. Des grossièretés venaient à sa bouche. Du genre, lorsqu’une personne appartenant à la gente féminine l’apostrophait ainsi : «  Eh, l’pépé, ç’a mord ! », il répondait du tac au tac sans quitter des yeux ses flotteurs : « Dis donc la morue ! y t’ais pas d’mandé si ton maqu’reau t’as ben ferré à matin ! ». D’ailleurs, on ne sait pas pourquoi, il avait la propension à fustiger les grosses touristes en short (sans doute quelques vieux relents de machisme, eh, il ne faisait pas parti des héritiers de mai 68). Il était courant, après qu’il est entendu de la part de celles-ci ces paroles assez souvent répétées d’une voie traînante : «  Vous avez vu le pépé ! , depuis le temps qu’il est là, l’a pas dû prendre grand-chose », de l’entendre rétorquer aussi sec : « Si ô continue d’même y va pas tarder à prendre une grosse morue, t’ette ben qu’avec l’eau douce ô finira par t’dessaler ».

Puis un jour, excédé, il avait piqué une grosse colère…

Un beau matin, l’Ancêtre monte dans son bateau, amarré le long de la cale au bout de la place de la Péchoire, pour y assouvir sa passion. Il pose son coussin sur la banquette de bois brut, à son âge un peu de confort ne nuit pas, puis déploie son immense parapluie de toile bleu délavée. Des fois qu’il mouillerait, ou des fois qu’il ferait grand soleil, on ne sait jamais, dans tous les cas cette antiquité est de circonstance.

Après ces préparatifs incontournables, l’heure de vérité arrive. Son œil devenu farouche, il tend, impatient, mais avec beaucoup de précision au beau milieu de la rivière, les lignes de ses vieilles cannes à pêche. Et, enfin, dispose à portée de sa main gauche l’indispensable épuisette, en n’oubliant pas de plonger dans l’eau, sur la droite de son bateau, la bourriche, béante, prête à recevoir les premières victimes

Son matériel hétéroclite ferait sans doute sourire quelques pêcheurs à la tenue militarisée et accros de la fibre de carbone. Cependant, je crois qu’ils seraient surtout jaloux en sachant combien de prises ont ramenées ces vieilles cannes de bambou.

Mais pour faire venir le poisson, il faut l’appâter. Ceux qui connaissent la pèche le savent. Néanmoins, cela ne se fait pas n’importe comment, alors chacun y va de son petit secret. L’Ancien, lui, ne s’embarrasse pas avec des produits aux couleurs fluo issus de la pétrochimie. Il mélange du son et autres substances naturelles avec de la glaise, afin d’en faire des boules plus ou moins homogènes se désagrégeant à la profondeur qui lui convient. Vous allez me dire : « mais ou est le secret ? ».

Il y en a un, certes. Seulement on n’a jamais eut le temps de le percer sur le fait car, au moment où l’on tournait la tête distrait par d’autres spectacles, il faisait couler subrepticement quelques gouttes de liqueur d’anis dans son mélange. Technique un peu particulière à la vérité, mais peut-être efficace, puisqu’un poisson « bourré » aura envie un moment ou un autre de se mettre quelque chose sous la dent. Donc, afin d’estomper les vapeurs de l’alcool, soit, un grain de blé charnu, un petit pois, un asticot frétillant ou un vers de terre bien gras sera le bienvenu. Et le poisson finira de cuver parsemé de fenouil, en nageant malgré lui à travers les oignons dans le vin blanc d’un plat à gratin. Car en fin observateur, l’Ancêtre avait remarqué que lorsqu’il allait boire le pastis avec les copains, on lui proposait des agapes, olives, apéri-trucs, etc., qu’il s’empressait d’avaler pour éponger. Pourquoi, les poissons n’en feraient-ils pas autant ? C’est d’ailleurs à la suite de deux enterrements successifs la même soirée, bien arrosés pour noyer le chagrin, ainsi que la tradition le voulait au bistrot en face de l’église où l’Ancien ému m’a fait part de ses constations, et dévoilé son secret.

Convaincu de l’effet dévastateur de sa mixture, notre bonhomme appâte… Disons plutôt qu’il bombarde malicieusement ses bouchons de ses boules d’appâts, avec à l’évidence un peu plus de précision que les jeunes en train de "pétanquer" derrière lui sur la place. Dont quelques boules, lancées d’un geste maladroit vers le cochonnet, avaient pris la direction opposée et dévalé la pente de la cale, et, plouf ! , dans l’eau. Ce qui le faisait se retourner et jeter de temps en temps un regard réprobateur et goguenard sur les boulistes, dans lequel ceux-ci pouvaient y lire ouvertement : vous voyez, moi, à mon âge, j’ai encore la main.

Notre pêcheur, appliqué à sa tâche, voit tout à coup l’un de ses bouchons s’enfoncer à une vitesse vertigineuse, son vieux moulinet grincer un peu au démarrage, puis vrombir de plaisir, en dévidant sans coup férir le nylon de 30/100ème.

La vraie belle touche ! Franche. Et, a priori, irrémédiable pour le poisson suicidaire. Suicide, peut-être dû aux effets de la liqueur d’anis ?

Prestement l’Ancêtre, ferre. Il jubile. Ca y est, cette fois j’en tiens une très grosse ! une sacrée balaise de carpe !

Et, à l’instar de tout bon pêcheur qui connaît toute les ficelles de son art, il suit à la surface de l’eau la progression de son fil afin d’éviter que le poisson malin n’aille pas se réfugier dans un herbier, ou s’entortiller sur un piquet oublié au milieu de la rivière. Une spécialité des grosses carpes sauvages. Les carpes franches, les vraies sauvages, elles font un tour, voire deux autour du poteau d’un ponton, puis se mettent sur le côté et coupent le nylon avec la petite scie située à l’avant de leur nageoire dorsale : étonnant ! Mais l’Ancêtre, averti depuis longtemps de leurs habitudes, se méfiait. Lorsque le sillage laissé par son fil s’est estompé, il a levé les yeux, surpris.

Horreur !

Avec un morceau de petit pois qui pendouille encore dessus, son hameçon est accroché à un bateau !

Un bateau, dans lequel un touriste, gros, gras, adipeux, qui, en voyant le désarroi du bonhomme, se bidonne.

L’Ancêtre, outré, la moustache frémissante de colère, mais tenant fermement des deux mains sa canne a pèche pour ne pas laisser échapper sa prise, crie alors à l’énergumène d’une voie tonitruante :

« Te rigol’ras moins quand te s’ras dans la poêle ! ».

Et en aparté de rajouter, gardant son humour légendaire : « Encore heureux, l’a pas bouffé tout le p’tit pois ».

Sur l’instant le gros n’a pas tout compris, et continué à rigoler. Puis il s’est mis à rougir comme si le frémissement du beurre, fondant au fond de l’ustensile, commençait à lui donner de la couleur.

Messages

  • On doit probablement l’appellation de Coulon-land à Mermet qui au cours de l’un de ses reportages avait dénoncé l’exploitation abusive du tourisme dans cette commune.

  • Ce qui faisait que la France était un beau pays c’était qu’elle était, dans les principes, une république indivisible, démocratique, laïque et sociale. Les touristes venaient aussi visiter le pays de la Révolution (qui a inspiré les autres révolutions à travers le monde), de la Liberté, de l’Ègalité et de la Fraternité. Du Nord au Sud, les Français formaient une nation politique avec un droit commun et non pas une nation ethnique aux droits différenciés. Vous semblez trouver beau ce qui divisent en laissant de côté ce qui unit. Dommage pour la France révolutionnaire qui semble courber l’échine devant l’Europe des régions libérales et des minorités voulue par Bruxelles et Washington… Quand on sait, par exemple, que le breton unifié a été voulu par les nazis et les indépendantistes collabos, le régionalisme indépendantiste devient moins exotique. En le rappelant aux touristes, ces derniers seraient sans doute moins nombreux. Des étrangers, comme Michael Moore, aimaient la beauté de notre pays pour sa Sécurité sociale et l’idée de solidarité nationale que cela représentait. Ils se fichentt complètement de nos patois dont ils n’ont jamais entendu parler. La richesse de notre pays n’est pas dans "biloute", ou si peu mais dans des services publics efficaces et partagés par tous.

    • Peut-être que la France était belle par son système social, j’ai écrit "était" car dans pas longtemps cela fera aussi partie du passé. Que nous soyons une nation républicaine liée autour de cet engagement cela ne fait aucun doute, mais ses particularismes et ses différences sont aussi l’une de ses richesses.

      Quant à dire que la République est une et indivisible il y a toute fois un bémol, il ne faudrait pas oublier qu’en Alsace et Lorraine il n’y pas encore séparation de l’église et de l’Etat !

  • Dans une partie du sud le tourisme est une catastrophe.

    Je parle de la Côte d’Azur où existe un tourisme en zone urbaine qui aboutit à ce que sur la Côté d’Azur les gens sont plus pauvres que dans les Bouches du Rhône.

    C’est une catastrophe économique absolue, une bombe sociale à retardement dans une grande agglomération qui court de San Remo en Italie jusqu’aux contreforts de l’Esterel, avec un logement coutant comme dans les endroits friqués de Paris, des très bas salaires, un cout de la vie monstrueux, un million d’habitants tassés, mal logés, avec beaucoup de précaires, un cout de la vie monstrueux.

    L’échec est patent, le tourisme comme ressource essentielle dans une zone urbaine est une folie. De + dans une région où les terrains à batir sont limités (littoral et montagne juste derrière) la poussée spéculative finit même par tuer la capacité locative pour accuillir des touristes (ça se mord la queue), ....

    Le tourisme donc est un échec dans cette partie du sud de la France.

    Mais le tourisme a d’autres effets pervers quand il transforme ce qui était avant la qualité des peuples de la Méditerranée , l’accueil, l’échange, le plaisir d’accueillir l’étranger, en un regard calculateur, de tondeur de près, qui fait une relation prédatrice avec l’autre, cet étranger. La relation humaine est tordue. Une forme de tourisme correctrice de cet aspect devrait d’abord essayer de sortir de la dépendance d’une mono-industrie les régions touristiques, développer les qualités d’accueil non marchand parallèlement à la relation marchande.