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URGENCE DARFOUR : "Les déplacés vont avoir besoin d’aide pendant au moins un an"

Publie le mardi 24 août 2004 par Open-Publishing


de Medecins sans frontieres

Marie-Noëlle Rodrigue et Xavier Crombé rentrent du Darfour, où ils ont supervisé les
activités de Médecins Sans Frontières. Interview.

DANS QUELLES CONDITIONS LA POPULATION DÉPLACÉE DU DARFOUR VIT-ELLE AUJOURD’HUI ?
On dénombre toujours au Darfour près d’un million de personnes déplacées. La
plupart sont regroupées, dans des conditions précaires, sur une trentaine de
sites de 5 000 à 80 000 voire 100 000 personnes. Les déplacés vivent dans des
abris de fortune construits avec les matériaux (branchage, paille, déchets...)
trouvés sur place. Partis de chez eux sans rien pouvoir emporter, ils n’ont pas
de réserves de nourriture, et la plupart dépendent presque entièrement de l’aide
alimentaire. Du point de vue sanitaire, il n’y a toujours pas assez de latrines,
et l’approvisionnement en eau, en quantité comme en qualité, reste problématique.

QUELLES CONSÉQUENCES CELA A-T-IL SUR LA SANTÉ DES DÉPLACÉS ?
D’une part, la malnutrition globale* reste élevée. Dans les camps de El Geneina, Zalingei, Mornay et Nyertiti, elle touche encore un enfant sur cinq. La malnutrition sévère* est heureusement plus limitée, autour de 5%. Grâce aux distributions générales qui commencent à être plus régulières, aux blanket feeding (distribution de rations familiales aux enfants en dessous d’une certaine taille, NDLR) que nous réalisons et à la prise en charge dans nos centres nutritionnels thérapeutiques, le nombre d’enfants en danger de mort a baissé.

Par ailleurs, les mauvaises conditions d’hygiène favorisent la propagation de maladies. La saison des pluies débutée en juillet aggrave encore cette situation. Le nombre d’enfants souffrant d’infections respiratoires a augmenté, les diarrhées sont fréquentes, et depuis peu nous constatons une épidémie d’hépatite E, pathologie à forte mortalité pour les femmes enceintes. En septembre, nous craignons un pic de paludisme qui pourrait faire des ravages, surtout chez des enfants déjà affaiblis.

Malgré tout, la situation dans les camps où nous intervenons est globalement sous contrôle. Grâce à la mise en route par nos équipes de structures de soins (dispensaires, centres nutritionnels) et à un effort de prévention (vaccination, assainissement des points d’eau, etc.), nous ne sommes pas confrontés à de grosses épidémies et le taux de mortalité dans les camps est retombé au-dessous du seuil d’urgence de un mort pour 10 000 personnes par jour.

L’AIDE INTERNATIONALE AU DARFOUR EST-ELLE SUFFISANTE ?
L’aide a pris du retard et a longtemps été très insuffisante. Mais depuis un mois et demi, d’autres ONG sont arrivées et démarrent des programmes. Au total, une trentaine d’organisations travaillent aujourd’hui au Darfour.

Pour ce qui est des distributions alimentaires, elles couvrent désormais mieux les besoins, mais ce n’est toujours pas assez. Alors qu’il faudrait distribuer une ration familiale tous les 30 jours, le Programme alimentaire mondial (PAM, une agence de l’ONU, NDLR) ne distribue qu’une ration incomplète tous les 40 jours.
 » LES VIOLENCES CONTRE LES RÉFUGIÉS SE POURSUIVENT-ELLES ?
Sur les violences, tout ce que nous pouvons dire c’est que le nombre de personnes victimes de violence qui viennent se faire soigner dans nos dispensaires a nettement diminué. Quant à savoir si cela traduit une baisse effective des violences, ou simplement le fait que les gens n’osent pas venir se faire soigner, c’est difficile à dire.

PEUT-ON ENVISAGER RAPIDEMENT LE RETOUR DES RÉFUGIÉS DANS LEURS VILLAGES ?
À terme, il n’est bien sûr pas souhaitable que les déplacés restent dans les camps. Mais il est encore trop tôt pour envisager un retour dans les villages. D’une part, malgré les pressions du gouvernement soudanais, les déplacés ont encore peur de rentrer. D’autre part, ayant perdu leurs récoltes, ils dépendent en grande partie de l’aide alimentaire, et pour un bon moment encore puisqu’ils n’ont pu lancer de nouvelles plantations. Or l’assistance a déjà du mal à se mettre en place dans les camps, elle serait plus difficile encore à apporter à des déplacés éparpillés sur un grand nombre de villages.

QUELLE EST L’AMPLEUR DES ACTIVITÉS DE MSF AU DARFOUR ?
C’est une des plus grosses opérations de secours jamais conduites par MSF. Toutes les sections sont mobilisées, avec un budget prévisionnel total de plus de 30 millions d’euros. Près de 150 expatriés et 2 000 Soudanais travaillent ensemble, répartis sur 17 sites de regroupement de personnes déplacées.

Grâce à cette mobilisation, nous avons contribué à éviter pour l’instant une catastrophe, faisant redescendre la mortalité au-dessous du seuil d’urgence dans les camps où nous sommes présents. Mais nous savons aussi que nous ne pouvons pas relâcher nos efforts, car les populations du Darfour vont avoir besoin d’aide pendant au moins une année encore.

* Une personne souffre de malnutrition modérée lorsque le rapport entre son poids et sa taille est compris entre 70 et 80% du ratio normal. Elle souffre de malnutrition sévère lorsque son rapport poids-taille est inférieur à 70% du ratio normal. La malnutrition globale recouvre malnutrition sévère et modérée.

http://www.msf.fr/site/actu.nsf/actus/darfour230804?OpenDocument&loc=au