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Une lettre ouverte aux Parents des Victimes

Publie le dimanche 11 juin 2006 par Open-Publishing
3 commentaires

de Erri de Luca Traduit de l’italien par karl&rosa

je m’adresse à vous, avec des majuscules, pour marquer la différence avec mon point de vue , minuscule et mineur.
Les assassins de vos conjoints ont payé et payent la dette pénale établie par les lois spéciales de cette époque-là.

Les assassins de vos conjoints n’ont presque rien nié. Laquelle des deux affirmations est fausse ? Aucune, elles sont vraies toutes les deux. Comment est-ce possible ? Vous, vous le savez bien, je l’écris pour ceux qui se penchent de temps à autre sur vous en demandant à votre douleur une pensée politique.

Il y a encore en prison des personnes condamnées pour ces crimes politiques, tout comme il y a des personnes qui tuèrent et sortirent tout de suite.

Par exemple Savasta et Viscardi, auteurs matériels de dizaines de meurtres, collaborèrent avec la magistrature et eurent le droit de voir en prison les responsables. D’autres parents d’innocents fauchés par des massacres impunis n’ont même pas eu le droit de connaître les noms des assassins.

Ces Parents des Victimes n’étaient et n’ont pas été égaux aux autres. Un calcul d’opportunité de la part de l’Etat mettait en circulation les coupables, libres et incontrôlables face à face dans la rue. Les parents du journaliste Tobagi pouvaient rencontrer presque tout de suite dans les rues de Milan celui qui avait avoué le meurtre.

L’offense qui a été faite à la majorité d’entre vous est de n’avoir pas fait purger leur peine aux assassins de vos conjoints. Leur mise en liberté, prompte et effrontée, reste le tort indélébile commis contre votre droit de partie civile. Par supplément d’offense, ces assassins sortirent avec le noble qualificatif de repentis et pour cette raison rachetés et absous au vol.

Là, votre douleur a été piétinée. La plupart d’entre vous ont été outragés par la raison d’Etat. La loi vous a octroyé un dédommagement qui ensuite n’a pas été payé, mais ceci est un dommage accessoire par rapport au tort principal.
Je vous demande de ne pas considérer comme une offense à votre douleur le fait qu’un condamné, une fois purgée la peine qui lui a été infligée, soit réadmis à la vie civile. Ce n’est pas un tort envers vous, c’est au contraire le meilleur signe d’une justice qui a suivi son cours. Cette personne appartient à nouveau à la société.

L’acharnement thérapeutique de ces jours-ci, fait en votre nom, est triste. Je vous demande le sacrifice d’ignorer les personnes qui, après vous avoir frappés, ont payé leur dette. Je vous demande le no comment à ceux qui frappent à votre douleur pour l’adresser du mauvais côté. Je vous demande, au contraire, de continuer à demander des comptes du droit piétiné à l’époque et jamais dédommagé, de la part d’un Etat qui mit en liberté les assassins de vos chers, tués dans la haine politique par les années 70 et 80 du siècle dernier. Cette même raison d’Etat a aussi mis en liberté les pires assassins de mafia.

Vous avez pleinement le droit de vous fâcher contre moi et contre ceux qui comme moi ont traversé en tant que militants actifs les longues années de la haine politique sans avoir payé de conséquences pénales. J’étais et je reste co-responsable de votre douleur.

Je vous demande de tenir hors de votre ressentiment les seuls parmi nous qui ont honoré et soldé leur dette avec la justice. Il représentent une exception, dans un pays de fraudeurs chroniques.

Je vous le demande sans droit à demander, mais en en appelant à votre sentiment de justice.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

Messages

  • Bravo ERRI
    Si je ne savais pourquoi j’ai milité a l’extrême de la gauche ( pour situer malaldroitement ce que je suis ) en lisant ton texte je l’ai su !!

    De fait il y a des gens à qui on dit bravo et d’autres merci expliqua un jour une américaine à Groucho MARX (autre forme de subversion : le rire n’est ce pas Dario FO ! )
    Merci ERRI
    Miille grazie !

  • Erri de Luca est un écrivain extraordinaire qui ns transmet, de par son vécu, une opinion que l’On n’attend pas. Pour moi quelqu’un qui enlève une vie doit "payer avec sa vie" et c’est la moindre des choses, L’idéologie derrière l"acte ne change rien. La guerre n’excuse rien.