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Venezuela : révolution permanente

Publie le mardi 17 août 2004 par Open-Publishing


de BENITO
PEREZ


Le rêve n’est pas brisé. Le rêve d’un Venezuela moins injuste, l’ébauche d’un
Etat au service des plus humbles, l’émergence d’une société civile réellement
populaire, l’alliance naissante des peuples latino-américains contre la dictature
du capital, tout cela demeure après l’historique référendum révocatoire du 15
août 2004.

Par la volonté d’environ trois votants sur cinq, Hugo Chavez pourra poursuivre
son oeuvre à la tête de la « Révolution bolivarienne » lancée il y a maintenant
six ans. Les images des barrios de Caracas faisant, tard dans la nuit, la fête à « leur » président
témoignent du profond soulagement ressenti par les milieux populaires. Emotion
partagée par de nombreux progressistes de par le monde qui voient dans le Venezuela
l’ébauche d’un autre développement possible.

Bien sûr, la fête démocratique qu’aurait dû constituer ce premier scrutin révocatoire de l’histoire a été quelque peu gâchée. Les accusations de fraude, le silence gêné de la communauté internationale et celui, durant de longues heures, des observateurs étrangers ont instillé un doute. Insidieux. La crainte d’une fraude électorale n’est jamais absurde a priori, surtout dans un pays aussi polarisé.

La tragi-comédie de la récolte des signatures ayant conduit au référendum -d’abord invalidée par le Comité électoral (CNE), puis confirmée- incitait à la prudence.

Reste un fait : la procédure de vote aujourd’hui décriée par l’opposition vénézuélienne avait été validée par le Centre Jimmy Carter et l’Organisation des Etats américains. Des observateurs qu’on ne peut qualifier de « chavistes » et qui, hier après-midi, ont confirmé sans ambiguïté les décomptent officiels. Seconde certitude : les milieux qui crient à la fraude manquent terriblement de crédibilité. Ce sont les mêmes, rappelons-le, qui, il y a deux ans, appuyaient au nom de la démocratie un coup d’Etat militaire.

Les mêmes encore, qui organisaient, à Noël 2002, le sabotage des installations pétrolières pour éviter que les travailleurs restés fidèles à Hugo Chavez ne relancent la production bloquée par la « grève générale ». Les mêmes, enfin, qui possèdent des médias tellement peu scrupuleux, qu’ils ont été jusqu’à publier des interviews bidons, des reportages truqués et de faux sondages...

En portant, en 1998, Hugo Chavez au pouvoir, puis votant un an plus tard pour une nouvelle Constitution, les Vénézuéliens avaient dit leur ras-le-bol d’une société gangrenée par les magouilles, clientélisme et corruption en tête. On n’affirmera pas que M.Chavez a réussi à éradiquer ces pratiques, mais on peut raisonnablement douter que l’opposition ait, elle, compris le message populaire !

A l’inverse, M.Chavez sait faire preuve de pragmatisme et d’un certain sens de l’écoute. Fourvoyé dans une tentative de putsch en 1992, l’ex-militaire a su revenir par les urnes et doter le Venezuela d’une Constitution profondément démocratique. Allié en 1998 aux secteurs de la bourgeoisie décidés à bousculer l’ancien régime, il n’a pas hésité à rompre avec eux, en 2001, lorsque ceux-ci ont tenté de l’empêcher de tenir ses promesses sociales. Les réformes agraire et pétrolière, notamment, que Chavez saura réaliser avec l’appui renforcé du mouvement populaire.

Enfin, confronté au sabotage de l’Etat par une élite fonctionnaire très conservatrice, il a su contourner l’obstacle et inventer les « missions », ces institutions parapubliques chargées de porter les services publics au coeur des bidonvilles. Avec succès, comme le démontrent les résultats de dimanche.

Paradoxalement, cette capacité d’adaptation il la doit aussi à l’opposition. Harcelé, le pouvoir n’a pu s’endormir, entrer en glaciation comme nombre de révolutions l’ont fait au cours de l’histoire.

Aujourd’hui, le processus bolivarien se doit d’entrer dans une nouvelle phase. Celle de l’approfondissement, de la consolidation et de la cohérence. Le bricolage institutionnel des missions doit laisser place à un service public rénové, rationnel, démocratique et contrôlé par des instances indépendantes.

Espérons que cette nouvelle ère soit aussi celle d’une plus grande ouverture vers la classe moyenne. Non pas sous la forme d’un pseudo-« dialogue » avec une opposition disqualifiée, ni pour répandre l’illusion d’une société pacifiée, sans fracture, ni intérêts divergents. Mais en apportant une réponse à la peur légitime, viscérale, de ces citoyens pris en étau.

Entre la crainte de perdre le peu qu’ils ont et le mirage d’une société de consommation dont ils seraient exclus pour cause de Révolution.

En somme, il s’agit de leur trouver une place dans le rêve bolivarien.

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