Accueil > Vier minuten (Quatre minutes)
de Enrico Campofreda traduit de l’italien par Karl&Rosa
Quatre minutes pour racheter par les notes la douleur, la solitude, les violences subies, vues et pratiquées. C’est le message direct et essentiel par lequel le jeune Chris Kraus offre une contribution personnelle pour relancer le cinéma allemand. On dit que Kraus est un perfectionniste et qu’il travaille beaucoup et longtemps, comme en témoigne la préparation de ce film, qui a duré plus de deux ans.
Mais quelques qualités manifestes – essentialité du récit, sondage dans les vies souffrantes des protagonistes, réalisme au sujet de la crue réalité carcérale, contradictoriété entre un talent inné et les fantasmes intérieurs qui en conditionnent l’existence – ne sauvent pas certaines solutions à effet à la saveur hollywoodienne desquelles nous nous serions passés volontiers.
Il n’y a pas en lui la bonté à tout prix du très loué (pas par nous) “Les vies des autres” et pourtant l’air respiré n’est pas exactement celui de l’authenticité. Le metteur en scène-scénariste affirme s’être inspiré des faits divers et pourtant la trame semble truffée de trop d’ingrédients et de quelques stéréotypes. Pas celui de l’enseignante de piano Trude, 80 ans, qui pouvait très bien être une ancienne infirmière nazie de la Croix-Rouge, ni ses préférences sexuelle lesbiennes ; bien sûr, la maîtresse de sa jeunesse pendue par les SS parce que communiste semble un coup de pinceau forcé dans les flashback de l’histoire. Une histoire de souffrance atténuée par l’art à laquelle Trude s’est consacrée pendant des décennies dans un lieu de douleur par excellence tel que la prison Lickau, où elle enseigne la musique aux détenues. Elle peut le faire grâce au consentement d’un directeur opportuniste et en graissant la patte du surveillant de la prison Mutze, un homme à la personalité controversée qui aime les harmonies mais ne renonce pas à son rôle coercitif.
Justement cette figure, présentée d’une façon très drôle, laisse perplexe dans un travail aux prémisses et aux objectifs ambitieux. Le finale à effet, où la détenue Jenny vit l’apothéose de son mix musical fait de Schumann et de hip hop, d’abord incompris et ensuite oviationné par le public, va bien mais le crissement des freins des voitures de police et des menottes des agents arrivés en nombre pour l’arrêter évoquent des scénarios de films commerciaux plutôt que d’auteur.
Il y a dans ce travail beaucoup de bonnes choses, en commençant par l’intention retrospective concernant l’individu et le système, le rappel de la grande faute de l’Allemagne du 20ème siècle, ce régime hitlerien qui a imprégné et marqué une infinité de vies comme celle de l’ancienne infirmière de la Croix-Rouge, Trude. Mais le fil rouge autour duquel l’histoire se déroule est centré sur les relations : la relation hiérarchique entre l’enseignante et l’élève, la relation sexuelle dans l’attirance interne à son propre genre, celle entre ceux qui possèdent de la volonté et ceux qui possèdent du talent. Et les relations perverses d’un père ambitieux qui arrive à violer sa gamine prodige et qui ensuite, repenti, cherche à se racheter. Et elle, Jenny, qui est l’auteure de ce prodige musical, finit en prison accusée d’un meurtre qu’elle n’a peut-être même pas commis.
Dans le dialogue difficile, mais qui est le seul possible, avec soi-même par la musique, Jenny, la rebelle violée, peut essayer de redonner un sens à une vie qui a été jusque là sûrement égarée, si non gaspillée. Tandis que Trude ressent à nouveau après soixante ans le frisson de la passion – où l’art joue, bien sûr, un rôle de médiation – mais qui est adressée à nouveau à une jeune fille réelle, marquée par la transgression et avec le feu intérieur d’une génialité inée.
Mise en scène : Chris KrausScénario : Chris KrausDirecteur de la photo : Judith KaufmannMontage : Uta SchmidtAvec : Monica Bleibtreu, Hanna Herzprung, Sven Pipping, Richy Muller, Jasmin TatatabaiMusique originale : Annette FocksProduction : Kordes & KordesOrigine : Allemagne, 2006Durée : 112’