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Vingt-deux ans d’affrontement idéologique autour de la taxation de la fortune

Publie le jeudi 5 août 2004 par Open-Publishing


de Serge
Marti


Derrière la polémique sur l’amnistie fiscale, c’est naturellement le sort de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) qui est en jeu, une taxation à forte connotation idéologique créée par la gauche au nom de l’équité sociale et que la droite, lorsqu’elle est revenue aux affaires, avait toujours hésité à réformer en profondeur à défaut de la supprimer vraiment.

Créé en 1982 par Pierre Mauroy, l’impôt sur les grandes fortunes (IGF) sera supprimé quatre ans plus tard par Jacques Chirac et son ministre de l’économie Edouard Balladur avant d’être réhabilité en 1988 et rebaptisé sous le nom d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par Michel Rocard, avec pour objectif d’aider au financement du revenu minimum d’insertion (RMI). En 1995, Alain Juppé se garde bien d’éradiquer cette taxation et la majore même légèrement afin de regarnir les caisses de l’Etat. Il faudra attendre l’été 2003 pour que le Parlement vote le projet de loi sur l’initiative économique et les allégements de l’ISF inclus dans ce texte.

Qui paie ce "frein au retour des capitaux", selon l’expression récente de Nicolas Sarkozy et que rapporte réellement l’ISF ? Il s’agit d’un impôt annuel dû par les personnes physiques dès lors que leur patrimoine (immeubles, entreprises individuelles, exploitations agricoles, meubles, placements financiers, véhicules, avions, bateaux...) excède une valeur actuellement fixée à 720 000 euros. Certains biens sont toutefois totalement ou partiellement exonérés, tels les biens professionnels. Sont imposables les personnes domiciliées en France pour leur patrimoine détenu dans le pays ou à l’étranger, de même que les personnes domiciliées hors de France, sur la base de leurs seuls biens situés en France.

Au fil des ans, les recettes fiscales tirées de l’ISF ont doublé sans atteindre des sommes comparables aux autres sources de revenus de l’Etat. De 1,2 milliard d’euros au début des années 1990, son rendement atteignait 2,4 milliards dix ans plus tard. Après un pic de 2,66 milliards d’euros en 2001, il n’a plus rapporté que 2,46 milliards l’année suivante et sensiblement la même somme en 2003. Cette contribution, qui n’est pas négligeable, reste très inférieure au produit de l’impôt sur le revenu (51 milliards d’euros) ou de l’impôt sur les sociétés (34 milliards), voire... le produit des taxes sur le tabac (16 milliards).

FISCALITÉ "CONFISCATOIRE"

Les détracteurs de l’ISF s’empressent cependant de mettre ce montant en rapport avec les quelque 11 milliards d’euros que représenterait le total des "capitaux délocalisés" depuis cinq ans, conséquence du départ de 1 792 contribuables français ayant fui la fiscalité

hexagonale, qu’ils jugent "confiscatoire" si l’on en croit Gilles Carrez, rapporteur (UMP) du budget à l’Assemblée nationale et auteur du rapport intitulé "Revaloriser le travail plutôt que l’impôt".

Le problème serait autant le manque à gagner pour l’économie que la fraude à l’ISF, qui va croissant. Théoriquement, près de 300 000 foyers fiscaux acquittent cet impôt. Mais près de 100 000 autres "oublient" de se soumettre à cette obligation, reconnaissent certains conseillers fiscaux. Face à ce déficit de recettes et d’équité fiscale, la première démarche consisterait d’abord à améliorer le rendement de l’ISF en s’attaquant aux fraudeurs.

Il reste que, à l’échelon des pays dits riches, la plupart d’entre eux n’ont pas souhaité créer d’impôt de cette nature ou l’ont abandonné pour cause de rapport incertain ou d’encouragement à l’expatriation frauduleuse des capitaux. C’est le cas de l’Allemagne, de l’Autriche, du Danemark, de l’Italie et des Pays-Bas en Europe. Sur les trente pays qui composent l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ils ne sont plus que sept (France, Grèce, Luxembourg, Norvège, Suède, Suisse et Finlande) à continuer à imposer la fortune.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-374584,0.html