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Violence économique et cinéma français (video)

Publie le mardi 27 février 2007 par Open-Publishing
11 commentaires

Pascale Ferran, cinéaste, a lu ce texte lors de la cérémonie des Césars 2007, samedi soir 25 février à Paris, après que son film adapté du roman de D.H. Lawrence a été couronné de cinq Césars.

Nous sommes nombreux dans cette salle à être comédiens, techniciens
ou réalisateurs de cinéma. C’est l’alliance de nos forces, de nos
talents et de nos singularités qui fabrique chaque film que produit
le cinéma français.

Par ailleurs, nous avons un statut commun : nous sommes intermittents
du spectacle. Certains d’entre nous sont indemnisés, d’autres non ;
soit parce qu’ils n’ont pas travaillé suffisamment d’heures, soit, à
l’inverse, parce que leurs salaires sont trop élevés pour être
indemnisés dans les périodes non travaillées.

C’est un statut unique au monde. Pendant longtemps, il était
remarquable parce qu’il réussissait, tout en prenant en compte la
spécificité de nos métiers, à atténuer un peu, un tout petit peu, la
très grande disparité de revenus dans les milieux artistiques.

C’était alors un système mutualisé. Il produisait une forme très
concrète de solidarité entre les différents acteurs de la chaîne de
fabrication d’un film, et aussi entre les générations.

Depuis des années, le Medef s’acharne à mettre à mal ce statut, en
s’attaquant par tous les moyens possibles à la philosophie qui a
présidé à sa fondation. Aujourd’hui, il y est presque arrivé. De
réformes en nouveau protocole, il est arrivé à transformer un système
mutualisé en système capitalisé. Et cela change tout. Cela veut dire,
par exemple, que le montant des indemnités n’est plus calculé sur la
base de la fonction de son bénéficiaire mais exclusivement sur le
montant de son salaire. Et plus ce salaire est haut, plus haut sera
le montant de ses indemnités.

Et on en arrive à une absurdité complète du système où, sous couvert
de résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux
indemniser les plus riches.

Or, au même moment exactement, à un autre bout de la chaîne de
fabrication des films, d’autres causes produisent les mêmes effets.
Je veux parler du système de financement des films qui aboutit d’un
côté à des films de plus en plus riches et de l’autre à des films
extrêmement pauvres.

Cette fracture est récente dans l’histoire du cinéma français.

Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ce qu’on appelait les films du
milieu - justement parce qu’ils n’étaient ni très riches ni très
pauvres - étaient même une sorte de marque de fabrique de ce que le
cinéma français produisait de meilleur.

Leurs auteurs - de Renoir à François Truffaut, de Jacques Becker à
Alain Resnais - avaient la plus haute opinion des spectateurs à qui
ils s’adressaient et la plus grande ambition pour l’art
cinématographique. Ils avaient aussi, bon an mal an, les moyens
financiers de leurs ambitions.

Or ce sont ces films-là que le système de financement actuel, et en
premier lieu les chaînes de télévision, s’emploie très méthodiquement
à faire disparaître.

En assimilant les films à vocation artistique aux films pauvres et
les films de divertissement aux films riches, en cloisonnant les deux
catégories, en rendant quasi impossible pour un cinéaste
d’aujourd’hui le passage d’une catégorie à une autre, le système
actuel trahit l’héritage des plus grands cinéastes français.

Et leur volonté acharnée de ne jamais dissocier création
cinématographique, point de vue personnel et adresse au plus grand
nombre. Ce faisant, il défait, maille après maille, le goût des
spectateurs ; alors même que, pendant des décennies, le public
français était considéré comme le plus curieux, le plus exigeant, le
plus cinéphile du monde.

Ici comme ailleurs, la violence économique commence par tirer vers le
bas le goût du public puis cherche à nous opposer. Elle n’est pas
loin d’y arriver.

Les deux systèmes de solidarité - entre les films eux-mêmes et entre
ceux qui les font -, ces deux systèmes qui faisaient tenir ensemble
le cinéma français sont au bord de la rupture.

Alors peut-être est-il temps de nous réveiller.

Peut-être est-il temps de nous dire que notre amour individuel pour
le cinéma, aussi puissant soit-il, n’y suffira pas.

Peut-être est-il temps de se battre, très méthodiquement nous aussi,
pour refonder des systèmes de solidarité mis à mal et restaurer les
conditions de production et de distribution de films qui, tout en
donnant à voir la complexité du monde, allient ambition artistique et
plaisir du spectacle.

Nous n’y arriverons pas, bien sûr, sans une forme de volonté
politique d’où qu’elle vienne. Or, sur de tels sujets, force nous est
de constater que celle-ci est désespérément muette. Mais rassurons-
nous. Il reste 55 jours aux candidats à l’élection présidentielle
pour oser prononcer le mot "culture".

Messages

  • Bravo à Pascale Ferran, elle a été d’une dignité qui mérite notre considération et notre soutien.
    Albert

  • Excellente intervention de Pascale Ferran, rigoureuse, claire et sobre. Aux intermittents comme à tous ceux qui luttent pour un monde plus juste, cultivé et ouvert d’esprit : TENEZ BON, RASSEMBLEZ-VOUS ET DRESSEZ-VOUS FACE A L’OPPRESSION CAPITALISTE !
    VOTEZ MARIE-GEORGE BUFFET.

  • OUI, J’AI LU DANS L’HUMA...

    ... le petit discours que Pascale Ferran a prononcé pour les oscars 2007.
    Bravo et vivent les intermittents et leur juste combat !

    NOSE

  • Ce film est tout simplement un chef-d’oeuvre.
    Quant à sa déclaration courageuse, respect.

    En souhaitant que Ferran vote pour MGB !

  • Merci à Pascale Ferran pour ce texte.
    Non seulement elle l’a lu mais en plus elle a réussi à captiver l’attention de l’assistance et à obtenir une longue acclamation. N’oublions pas non plus son flim : " Lady Chatterlay" car il n’y a pas que la politique dans la vie. Et le mieux que l’on puisse faire pour la soutenir est d’aller voir son film.
    Francesca

  • J’ai été à la fois subjuguée et enthousiasmée par son discours que j’ai trouvé très courageux. On aurait entendu une mouche voler.

    Mille fois bravo et mille fois merci.

    K

    • Je ne sais pas si elle était pour ou contre la DADVSI, Pascale Ferran, parce que c’est bizarrement la seule ordure parmi les lois récentes dirigée contre la liberté et la générosité culturelle qu’elle a oublié de dénoncer, dans son petit discours revendicatif de la soirée des Césars (Culture_absente). Peut-être était-ce qu’elle voulait être sûre d’être applaudie par tous ses pairs, et mieux valait oublier la loi liberticide du printemps dernier. Mais le fait est là : la question culturelle n’intéresse apparemment personne dans cette élection. Notez, c’est pas Donnedieu de Vabre qui va le regretter.

  • “Mais le fait est là : la question culturelle n’intéresse apparemment personne dans cette élection.”

    Non, c’est INEXACT !!!

    Voir ici : http://pcf.fr/spip.php?article1075

    Notamment la vidéo de l’entretien de Francis Parny sur les questions de la DAVDSI (et sur les soi-disants « pirates » des réseaux d’échange), de l’enseignement artistique, la situations des créateurs etc.

    Également les thématiques dans la rubrique Propositions.

    Je suis d’autant plus sensible à ces propositions de MGB, étant moi-même musicien.

  • Cette remarquable déclaration très spontanément saluée par l’immense majorité des acteurs présents, sensibles à "la violence économique" qui frappe les professionnels du spectacle, a été prolongée lors des 14è victoire de la musique mercredi dernier.
    Natalie Dessay, l’une des grandes sopranos coloratures du monde s’est faite l’interprète des intermittents du spectacle dont le statut est en train de voler en éclats sous les coups de boutoir du MEDEF et du gouvernement. Elle a lu avec beaucoup de conviction un texte réaffirmant le refus "du recul de l’exception et de la diversité musicales françaises", dans le même esprit que ce qu’a déclaré Pascale Ferran. Une ovation a salué également cette intervention. Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres cachait mal son agacement. C’est plutôt réjouissant d’entendre une telle analyse et une telle volonté des milieux artistiques de ne pas accepter les reculs sociaux et d’exiger que la Culture soit aussi au coeur des grands enjeux de la campagne présidentielle.
    René Fredon