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Niger, trois millions de vies à risque

Publie le samedi 23 juillet 2005 par Open-Publishing
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Le pays sub-saharien est affligé par une lourde crise alimentaire. La nourriture manque, mais le gouvernement et les donateurs se sont opposés jusqu’ici aux distributions gratuites. "Pour ne pas perturber les marchés"

de STEFANO LIBERTI traduit de l’italien par karl&rosa

"Le Niger est l’exemple d’une urgence négligée, où les avertissements n’ont pas été pris en considération". Ainsi hier Jan Egeland, sous-secrétaire des Nations unies pour l’aide humanitaire, s’indignait aux microphones de la Bbc pour le peu d’intérêt de la communauté internationale sur la crise alimentaire qui est en train de frapper le pays sub-saharien. Résultat d’une multiplicité de facteurs - parmi lesquels la sécheresse et l’invasion de criquets qui a ravagé l’été dernier tout le Sahel, en compromettant les récoltes - la situation au Niger risque d’avoir des effets dévastateurs : selon les estimations fournies par l’Onu, 150.000 enfants risquent la mort et au moins 3,6 millions de personnes sont actuellement à court de nourriture.

Le fait est que la crise au Niger était amplement prévue et prévisible dès l’automne dernier : déjà en octobre une mission d’organismes internationaux - parmi lesquels le Programme alimentaire mondial (Pam), la Fao et le Comité permanent interétatique de lutte contre la famine dans le Sahel (Cilss) - avait tiré la sonnette d’alarme, en indiquant un déficit de céréales de plus de 220.000 tonnes, c’est-à-dire 7,5% des besoins nationaux, concentré surtout dans la bande méridionale qui comprend les villes de Tahoua, Maradi et Zinder. Depuis, peu de choses ont bougé : malgré l’augmentation dramatique des enfants hospitalisés dans les centres nutritionnels et dans les cabinets de consultations de Médecins sans frontières (Msf), la situation est restée inchangée.

Pourquoi cette inaction ? "Nous avions lancé depuis novembre une stratégie d’intervention préventive - raconte au téléphone de Niamey Gian Carlo Cirri, responsable du Pam au Niger - mais il n’a pas été possible de la concrétiser". Cirri parle de pénurie des moyens affectés et de la difficulté de trouver des céréales dans toute la sub-région, à cause des mauvaises récoltes de l’année dernière. Mais d’autres dénoncent de façon plus ouverte une politique qui d’une certaine manière a sacrifié les Nigériens sur l’autel du libre marché. Dans une intervention sur le site de Msf, Jean-Hervé Jezequel, chercheur dans le secteur des sciences sociales récemment revenu du Niger, montre du doigt la stratégie de gestion de l’urgence dans le pays sub-saharien. Selon ce que raconte le chercheur, une telle stratégie de gestion est confiée au dit "dispositif", un organe qui associe les principaux bailleurs de fonds (Usa et France), les institutions Onu (Pam et Fao) et le gouvernement du Niger.
"Au début de juin, au cours d’une réunion de la Commission mixte de concertation, l’organe de décision du "dispositif" qui réunit les représentants de l’Etat et les bailleurs de fonds, le gouvernement du Niger a déclaré que, malgré la gravité de la crise alimentaire, il n’organiserait pas de distribution gratuite", continue Jezequel. La raison en est simple : il fallait éviter de déstabiliser les marchés par l’introduction de denrées alimentaires gratuites. Plutôt que de s’indigner, les bailleurs de fonds - en premier lieu l’ambassadeur français - ont accueilli avec jubilation la déclaration du gouvernement. "En bref - conclut le chercheur - la sécurité alimentaire telle qu’elle est appliquée au Niger privilégie le marché par rapport au service public".

La crise devenant plus aiguë et en concomitance avec le début d’un timide intérêt de la part des médias internationaux pour la situation dans le pays, le "dispositif" a enfin changé de politique : la décision d’autoriser des "distributions ciblées" de denrées alimentaires aux personnes les plus en difficulté date de ces dernières heures. "Nous sommes en train de jouer la dernière carte pour éviter le pire", raconte Cirri. Celui-ci ajoute :" Le Pam a multiplié par quatre son budget t il est en train d’acheminer une gigantesque opération de distribution qui entraînera 60 organisations sur le terrain".

Après le "virage", les bailleurs de fonds se sont empressés de participer à la compétition de solidarité : mardi, la France a annoncé l’affectation de deux millions d’euros. D’autres pays lui emboîteront probablement le pas selon le scénario habituel : on n’intervient que quand la situation devient critique. "Si on avait ré&pondu tout de suite, il aurait fallu un dollar par jour pour prévenir la malnutrition parmi les enfants. Maintenant, il faut 80 dollars pour sauver la vie d’un enfant mal nourri", poursuit Egeland. Il termine par un contat ame : " Les fonds initialement demandés par l’Onu pour le Niger correspondent à un tiers de ce que les Européens dépensent chaque année en glaces".

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