Vigilance antifasciste : Umberto Eco le 5 octobre 1993
A la suite de l’Appel à la vigilance (contre le fascisme) du 13 juillet 1993, Appel dont Edwy Plénel vient d’en rédiger un livre (Ed La Découverte 2023), c’est Umberto Eco philosophe romancier italien (né en 1932, décédé en 2016) qui vient s’exprimer sur cette vigilance antifasciste dans un entretien du Monde du 5 octobre 1993 (1), il y a donc 30 ans jour pour jour.
Car cet Appel du 13 juillet a pu choquer ici ou là des esprits se voulant ouverts au débat démocratique. Mais ouvert vers quoi ? Participer à quoi ? Avec qui ? Quel colloque ? Quelles thèses ? Il y avait donc besoin, moins de 3 mois après sa publication, d’insister avec la fermeté requise sur la nécessité de ne pas laisser passer les idées nauséabondes sous prétexte de débat démocratique .
On ne débat pas avec n’importe qui sur n’importe quoi. C’est à répéter 30 ans plus tard.
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Nul besoin de chemises brunes marchant sur Rome pour caractériser un retour du fascisme dit Umberto-Eco. Car certains se faisaient - et se font encore de nos jours - des idées stéréotypées du fascisme : il ne pourrait revenir que sous la forme avec laquelle il est historiquement apparu. Idem pour le nazisme et le pétainisme. Que dire des dictatures de Franco en Espagne, Salazar au Portugal et celle des colonels en Grèce ? Eh bien c’est trop facile que de penser de la sorte ! C’est manquer de vigilance intellectuelle contre de nouvelles formes de haine !
Ces idées de fermeture identitaire produisent toujours des discriminations, de la mal-vie, des souffrances intolérables et inadmissibles pour les victimes mais aussi,- il faut le dire - au-delà des cibles, contre l’ensemble du peuple qui peut lui aussi souffrir de l’autoritarisme avéré des courants d’extrême-droite. Alors, Il faut rappeler qu’aucun de ces courants n’a jamais été authentiquement social. Entendez pour un Etat républicain authentique, social et démocratique qui trouve sa place en repoussant activement les logiques récurrentes de la domination capitaliste . Tout antifasciste n’est pas nécessairement anticapitaliste mais tout antifasciste sait que le fascisme veut toujours réduire le « social » à du simplement caritatif privé afin de faire plus de place au lucratif.
Quelles forces d’extrême-droite veulent défendre et améliorer les services publics et la sécurité sociale ? Aucune ! Certes les droites républicaines ne le font pas ou plus. Elles perdent en contenu « républicain » authentique pour préférer un libéralisme économique anti-social et pour tout dire classiste. Mais les forces d’extrême-droite en font plus, et pas que sous forme de racisme, de sexisme (anti-IVG, contre les sexualités autre que dominantes) car elles ont toujours été pour donner des budgets importants aux forces policières et militaires. Toujours. Elles défendent toujours la « main droite de l’Etat » soit par nationalisme BBR ("bleu, blanc, rouge", comme ses fêtes) soit par "occidentalisme" (cf GRECE). Bref elles sont identitaires et classistes (en soutien des classes dominantes) . Or nous sommes pour l’humanité . Rien de ce qui est humain ne nous est étranger.
Tout ne se vaut pas dans le débat démocratique. On ne doit pas tolérer l’intolérable, notamment les discours de haine qui débouchent sur des discriminations racistes ! Or c’est ce qui surgit du fait d’une stratégie de légitimation qui est à l’oeuvre sous couvert de libre expression, de débat démocratique. Il n’est pas possible - par exemple - d’être complice de ces discours anti-maghrébins dix ans après la Marche de 1983. Il y a des limites à ne pas franchir.
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Reprenons les dates importantes ou le « mal » est encore agissant.
Indépendance de l’Algérie en 1962 et formation de l’OAS par l’extrême-droite colonialiste et raciste. Cette indépendance après d’autres échecs (Indochine) a heurté fortement une fraction notable du peuple français, tant en Algérie qu’en métropole, fraction qui s’identifiait à une grande France impériale en déclin. Dix ans après, en 1972 on comprend mieux certains évènements qui font sens : la loi contre le racisme le 1 juillet car il faut s’y opposer mais aussi la création du Front National en octobre 72 . L’année suivante, en été 1973, on sait la série de meurtres contre les maghrébins.
Néanmoins, on semble encore sous-estimer l’ampleur du racisme anti-maghrébins en France durant les années post-indépendance de l’Algérie. Si le MRAP a modifié son changement de nom en 1977, c’est bien que des raisons fortes y poussaient 15 ans après la fin de cette guerre. De Mouvement contre le Racisme et l’Antisémitisme et pour la Paix il est devenu Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples. Ce congrès de 1977 a posé une orientation qui fait toujours à raison l’objet du MRAP : la lutte contre toute les formes de racisme. L’antisémitisme doit évidemment toujours être combattu mais en 1977 d’autres formes de racismes sont insupportables et elles sont quotidiennes. La France est très raciste.
En été 1983, soit à peine plus de 20 ans après la fin de la guerre d’Algérie la haine anti-maghrébins est toujours puissante dans la société française et les crimes racistes sont nombreux (une liste a été dressée), ce qui va déboucher sur la célèbre Marche contre le Racisme et pour l’Egalité de la fin 1983. Enfin l’histoire peut basculer ! Que disent-ils ces marcheurs ? Nos parents viennent surtout (pas que) d’Algérie, de Tunisie, du Maroc mais nous sommes français et nous le resterons. Nous sommes ici chez nous. 20 ans après la fin de la guerre d’Algérie, il faut arrêter vraiment la poursuite de la guerre sous forme de violence raciste et promouvoir un trajet vers l’égalité réelle. Au racisme anti-maghrébins il faut évidemment ajouter celui qui frappe les familles africaines ou asiatiques.
1993 : Dix ans de plus. On s’éloigne nettement de 1962 et on pourrait enfin croire à un changement des mentalités, les obsessions colonialistes s’étant estompées. Il n’en est rien : 31 ans après l’extrême-droite française diffuse sa haine raciste et xénophobe. Les gouvernants et les partis républicains de droite ou de gauche doivent faire un effort pour s’y opposer. Ce serait l’honneur de la France et de la République que d’être enfin conforme à ce qu’elle a affiché jadis, avant la colonisation des peuples d’Afrique et d’Asie, soit le respect des droits humains, le respect de la liberté, de l’égalité et de la fraternité et donc d’être active dans la lutte pour l’égalité réelle notamment dans l’emploi et le logement comme dans d’autres secteurs, comme l’école ou la santé.
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Il ne faut pas laisser l’extrême-droite peser et tricher avec la République qui vaut pour tous et toutes ou qui ne vaut pour personne. La critique vaut aussi certes pour d’autres certes, à droite, qui se contentent d’une République formelle ou la fraternité cède et ou les inégalités prospèrent, faisant le lit de la désespérance.
Mobilisons-nous pour un vivre ensemble dans la dignité et l’égalité. L’égalité, c’est qu’exigeaient les marcheurs de 1983. Nous devons en finir avec le racisme anti-maghrébins et les inégalités à tous les étages de la société, surtout à une époque qui voit des ultra-riches toujours plus riches et une Europe en mal de services publics authentiques, de protections sociales dignes de ce nom.
Christian Delarue
Militant associatif antiraciste et syndicaliste antifasciste
1) Le Monde du 5 octobre 1993 : Un entretien avec Umberto Eco
Sur la création du FN cf Jean-Paul Gautier
– https://www.contretemps.eu/front-rassemblement-national-le-pen-nazisme-collaboration-vichy-petain/
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